La dernière fois qu’on a vu une série commencer avec un personnage qui se pissait dessus, c’était Succession. La comparaison s’arrête presque là – quoiqu’on pourrait aussi citer la famille dysfonctionnelle et les enfants en quête d’amour – mais La Mesías confirme qu’une telle ouverture augure toujours d’une œuvre extraordinaire, au sens strict du terme : qui jaillit hors de la masse des productions sérielles pour vous frapper quelque part entre le plexus et la rétine et vous abandonner, après sa conclusion, dans un état différent de celui dans lequel vous l’aviez commencée.
Ici, c’est Enric qui ne maîtrise plus sa vessie lorsqu’il aperçoit le clip ridiculement kitsch d’un girls band catholique à la télé. Cette bondieuserie dégoulinante le ramène soudain lorsqu’il était petit garçon, avec sa sœur Irene. Qu’est-il arrivé à ces deux-là, qui ne se sont pas parlé depuis des lustres ? Tirant peu à peu les fils de leur histoire chaotique, La Mesías raconte le naufrage de Montserrat, mère rattrapée par la misère, les humiliations et la violence qui, se laissant séduire par un bigot, sombre peu à peu dans le sectarisme religieux et y entraîne sa progéniture.
La série aurait pu se contenter de ce passionnant et glaçant jeu de piste dans une Espagne des années 1990 plombée par son héritage ultrareligieux. C’était sans compter sur ses créateurs, « Los Javis » comme on les surnomme à Madrid, qui ont décidé d’en faire un objet semblable à aucun autre. D’abord huis-clos coloré, serré sur une mère excessive en tout, idole flamboyante de ses enfants, La Mesías tourne au film d’horreur quand la fratrie s’élargit et l’aliénation contamine Montserrat, avant de retrouver le présent et son insondable tristesse.
Bien aidée par un talentueux casting, c’est dans cette continuité que la série trouve sa raison d’être. Dans un mouvement aussi douloureux que magnifique, qui réserve des séquences suspendues dans chaque épisode, La Mesíasraconte l’impossibilité de se défaire des traumatismes qui construisent autant qu’ils rongent.
Image © Sophie Koeller