La Mesias
L’Espagne s’impose de plus en plus comme un pays prolifique en matière de séries. Si La Casa de Papel et ses multiples ersatz ont pu laisser penser que la quantité primait parfois sur la qualité, La Mesias vient remettre l’église au milieu du village. Littéralement, puisqu’il s’agit de l’histoire d’un frère et d’une sœur échappés d’une secte. Ces deux-là tentent, tant bien que mal, de poursuivre une existence meurtrie par l’obscurantisme et l’ombre encombrante d’une mère toxique.
De ce sujet lourd naît une série à l’ampleur romanesque folle, qui se déploie efficacement mais sans se plier aux conventions sérielles parfois lourdes que sont les cliffhangers à outrance. Javier Calvo et Javier Ambrossi ont la même délicatesse dans l’écriture, qui explore finement les affres des liens familiaux et les traumatismes, et dans leur réalisation, sensorielle et enveloppante. Ne manque plus qu’un casting impeccable, illuminé çà et là, dans les rôles secondaires, par des figures familières du cinéma, notamment d’Almodovar (Rossy de Palma, Lola Dueñas), pour faire une très grande série.
House of Gods
Au milieu d’une production pléthorique, il est désormais rare de regarder une série avec la certitude de ne jamais avoir rien vu de tel avant. House of Gods produit pourtant cet effet-là en plongeant dans le quotidien d’une famille musulmane d’origine irakienne à Sydney. Le patriarche, sheikh respecté, est candidat pour prendre la tête de la mosquée locale. Le fils l’y aide, l’une des filles espère se faire une place à côté de lui en tant que conseillère, tandis que l’autre l’encourage à tenir sa ligne plus progressiste, face à un adversaire très conservateur.
Si la tentation est grande de définir House of Gods comme un mélange entre Succession et Shtisel (l’histoire d’une famille juive orthodoxe) version islam, la série trouve pourtant son propre ton, en abordant tant la question du pouvoir que celle de la foi, dans un monde marqué par le 11-Septembre.
After the party
Penny est prof de biologie en Nouvelle-Zélande. Quand elle ne court pas après ses élèves pour leur éviter le décrochage, quand elle ne s’occupe pas de son petit-fils, elle part la nuit en kayak tagguer les bâteaux de pêche qui menacent la biodiversité de l’océan près duquel elle vit. Rien ne semble pouvoir faire vaciller cette femme déterminée, rien sauf son ex-mari, de retour après cinq ans d’absence. Il y a cinq ans, Phil est parti parce que Penny l’a accusé de viol sur un ami adolescent de leur fille. À cette époque, comme aujourd’hui, personne ne la croit tout à fait.
Douloureusement juste, After the party est une série dont les dialogues, lors de scènes de confrontation magnifiques, rappellent qu’à l’écran, le grand drame, le vrai, n’a pas dit son dernier mot. Mais qu’il lui faut absolument être servi par de grands acteurs, ce que Robyn Malcolm et Peter Mullan, tous les deux vus notamment dans la série de Jane Campion Top of the Lake, sont assurément.
Rematch
Parler d’intelligence artificielle sans être une série de science-fiction, voilà le défi un peu fou (et relevé haut la main) de Rematch, série britannique attendue à l’automne sur Arte. L’histoire revient, à la fin des années 1990, sur la bataille menée par Garry Kasparov, champion du monde d’échecs, contre Deep Blue, le superordinateur d’IBM, première machine à battre le meilleur homme à ce jeu. Mais pour y parvenir, vaut-il mieux suivre une mécanique implacable qui ne fait jamais d’erreur ou, au contraire, accepter la part d’aléatoire qui surgit nécessairement de l’esprit humain? En s’intéressant à cette question, la fiction questionne très intelligemment la frontière entre ce qui fonde l’humanité et ce qui n’en relève définitivement plus. Frontière si fine qu’au fil des épisodes, il devient même difficile pour le public de savoir s’il veut vraiment que ce soit Garry Kasparov qui remporte la mise…
Machine
Parmi toutes les séries françaises sélectionnées, en voici une qui ne ressemble à aucune autre. Imaginée par Fred Grivois et Thomas Bidegain, Machine convoque deux éléments a priori difficilement solubles l’un dans l’autre: le kung-fu et le marxisme. Le premier, c’est parce que le personnage principal, une femme au passé trouble (Margot Bancilhon, impressionnante), est adepte de cet art martial. Le second, parce qu’elle revient dans la petite ville ouvrière de son enfance, prend un poste d’intérimaire dans une usine d’électroménager, et se retrouve bien vite au centre d’un conflit social d’ampleur lorsque l’actionnaire principal décide de délocaliser. Le résultat, brillamment mis en scène, est redoutablement fun, faisant même découvrir un certain potentiel comique aux écrits de Karl Marx, sans cesse cités par un syndicaliste incarné par JoeyStarr. Véritable OVNI à découvrir en avril sur Arte, Machine est baston qui joue sur tous les terrains : le vrai, bétonné, comme celui des idées.