She Said de Maria Schrader (2022)
Le film retrace l’enquête du New York Times qui a fait éclater l’affaire Harvey Weinstein, valut à ses deux autrices le prix Pulitzer et fut à l’origine du mouvement #MeToo. Dans la lignée des grands films d’enquête (Les Hommes du Président d’Alan J. Pakula, Pentagon Papers de Steven Spielberg), She Said révèle les journalistes d’investigation consciencieuses derrière cette « Une » qui a tout changé : Jodi Kantor et Megan Twohey (jouées par Carey Mulligan et Zoe Kazan). L’expérience est sidérante : She Said est un document précieux, un grand film qui apprend à écouter.
Énorme de Sophie Letourneur (2019)
Sur le papier, Énorme semble être une comédie sur la grossesse portée par un couple de stars, mais sur le papier seulement. Car Sophie Letourneur est une insatiable chercheuse de formes. Elle trouble les codes du genre en inversant les rôles, Marina Foïs joue une pianiste virtuose et c’est son compagnon (Jonathan Cohen) qui a un désir fou de pouponner au point de lui faire un enfant dans le dos. Si elle s’attaque ici à la comédie populaire, la réalisatrice invente un dispositif comique inédit en la mêlant au documentaire et offre un film hybride grinçant, subversif et abrupt. On ne sait plus si l’on doit rire ou pleurer, ce que l’on pense d’eux, de nous-mêmes, mais ce qui est certain, c’est qu’on est bien dans un film de Sophie Letourneur.
Sophie Letourneur : « Tous ces tabous autour du sexe féminin, c’est une histoire de honte »
The Fabelmans de Steven Spielberg (2023)
Au commencement, un train qui en percute un autre. Le petit Sammy, 6 ans, que ses parents ont amené voir Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille, n’en revient pas. Il veut reproduire cet accident à l’infini, « pour de vrai », s’attirant les foudres du père. Alors sa mère aura l’idée lumineuse de lui donner une caméra. Il y a dans cette anecdote d’enfance la clé intime du cinéma humaniste de Spielberg, sa volonté de réordonner le monde. C’est tout le projet de cette « fable » – car le film ne s’appelle pas les Spielberg mais les Fabelmans- revenir à la source de sa vocation de cinéaste et nous offrir un portrait sensible de sa jeunesse. A travers l’histoire familiale des Fabelmans, de l’Ohio à l’Arizona puis en Californie, c’est l’Amérique du XXème siècle tout entière que l’on voit défiler sous nos yeux et c’est un voyage inoubliable.
« The Fabelmans » : la genèse éclatante d’une immense œuvre de cinéma
Season of the Witch de George A. Romero (1973)
Pittsburgh, début des années 1970. Joan, une mère au foyer, vit avec son mari Jack, souvent absent, et leur fille Nikki, âgée de 17 ans. Le jour, Joan s’ennuie terriblement et ses nuits sont hantées par des cauchemars répétitifs. Lorsque des amies rongées par la solitude, elles aussi, évoquent l’existence d’une « sorcière », Joan décide de lui rendre visite et commence alors sa libération sexuelle et mentale. Season of the Witch est un conte horrifique féministe, contemporain d’autres grands films d’épouvante comme The Stepford Wives et Rosemary’s Baby (qu’il cite d’ailleurs). S’il est un peu fragile, par manque de moyens, il reste le témoin gracieux d’une époque (qui nous manque terriblement à vrai dire) et du talent inouï de Romero.
Les Amours d’Anaïs de Charline Bourgeois-Tacquet (2021)
C’est l’histoire d’une jeune femme, Anaïs, allergique à l’engagement (et aux ascenseurs) qui papillonne joyeusement sans trop savoir où elle va. Le hasard la met dans les bras de Daniel (Denis Podalydès) qui vit avec sa femme, Émilie (Valeria Bruni Tedeschi), et contre toute attente, le désir d’Anais va se porter sur Emilie. On sent le doux parfum rohmérien planer sur ce marivaudage mais le premier film de est bien plus insolent et profond. Anaïs Demoustier nous emporte avec elle dans une bourrasque de charme et d’intelligence et le film prend alors un virage délicat, sensuel et inattendu. Une cinéaste à suivre.
« Les Amours d’Anaïs » : un ardent triangle amoureux
Tapie de Tristan Séguéla (série, 2023)
C’est la grande « mini-série » de la rentrée. Elle s’ouvre sur l’incarcération de Bernard Tapie, en 1997. Il entre en prison pour corruption, acclamé par tous les prisonniers. Mythe ou réalité, cette séquence révèle la vie paradoxale de ce fils d’ouvrier qui rêvait de devenir chanteur et finira par devenir « Tapie ». Chef d’entreprise, animateur télé, ministre éphémère, patron d’Adidas, président de l’O.M., escroc, difficile d’avoir une vie plus romanesque. La série, portée par Laurent Lafitte (qui se fond totalement dans le personnage), est tiraillée entre l’hagiographie nostalgique et la satire amère d’un homme toxique qui a tout sacrifié sur l’autel de sa réussite.