La Cérémonie de Claude Chabrol
LA SCÈNE 🎥
Envoyées par le Secours catholique, Sophie et Jeanne sonnent à la porte d’une maison bourgeoise pour venir récupérer des donations pour l’hiver. Une femme les invite à entrer et sort d’un placard un grand sac poubelle bleu. « Dis donc, c’est vraiment des rebuts. On va pas prendre n’importe quoi, on n’est pas la décharge municipale », lance Jeanne. Elle s’empare du sac, jette son contenu sur le sol, puis, accroupie, trie les vêtements et balance par-dessus son épaule ceux qu’elle estime de mauvaise qualité. Sous le regard scandalisé de la propriétaire de la maison, elle échange des rires complices avec Sophie.
L’ANALYSE DE SCÈNE 🔎
En adaptant le roman L’Analphabète de Ruth Rendell – lui-même librement inspiré de l’affaire Papin, qui vit deux sœurs domestiques assassiner leurs patronnes –, Claude Chabrol retrouve ses thèmes de prédilection : la dénonciation des travers de la bourgeoisie provinciale et la lutte des classes.
Avec les personnages de Sophie et Jeanne, il poursuit sa portraitisation des femmes criminelles : des figures présentes dans de nombreux autres films, dont Violette Nozières (1978) et Une affaire de femmes (1988), et avec lesquelles il sonde les dysfonctionnements de la société.
Dans La Cérémonie, c’est le mépris social qui pousse les deux protagonistes au crime, cette scène pivot de la collecte de vêtements cristallisant parfaitement les tensions entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Face à l’attitude condescendante de la maîtresse de maison – qui qualifie rapidement les deux femmes du sobriquet « les petites du Secours catholique » –, Jeanne et Sophie renversent brièvement les rapports de force et dénoncent, par ce geste de tri désinvolte, l’hypocrisie de la charité de façade de la bourgeoisie.
Optant pour une mise en scène sobre, le cinéaste use du champ-contrechamp pour mieux figurer l’opposition entre les deux strates sociales, et laisse aux dialogues le soin de signifier la violence qui se dégage de cette situation quotidienne. Les frustrations des héroïnes éclatent enfin dans cette séquence cyniquement drôle, qui marque le début de leur rébellion, tout en annonçant la cruauté implacable du dernier acte.