En couv : le magistral « The Brutalist » de Brady Corbet

Le mot « chef-d’œuvre » apparaît à tort et à travers, souvent utilisé avec autorité – si bien qu’il paraît avoir perdu toute substance. Tandis que « The Brutalist » de Brady Corbet explore cette notion à travers le parcours d’un architecte brutaliste rescapé de la Shoah, on a eu envie de se mesurer à tout ce qu’elle sous-tendait, et de se demander : a-t-elle encore un sens ?Pour ça, on a rencontré le réalisateur de « The Brutalist », Brady Corbet. Dans ce nouveau numéro, à lire aussi : notre hommage au regretté David Lynch, un portrait d’Anna Mouglalis ou encore notre critique de l’adaptation de « Peau d’Homme » au théâtre avec Laure Calamy.


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ÉDITO · On est arrivés au Festival de Venise, en septembre dernier, juste après l’événement. The Brutalist de Brady Corbet venait de faire sa première mondiale et de susciter un engouement inattendu. Douze minutes de standing ovation, mais surtout un qualificatif utilisé par beaucoup : « chef-d’œuvre ».

Dans la foulée, Brady Corbet recevait le Lion d’argent de la réalisation. On n’avait pas encore pu voir le film qu’on était déjà plongés dans un abîme de questionnements. Depuis quand un long métrage n’avait-il pas été aussi unanimement salué par professionnels du cinéma et journalistes de tous bords? On se surprenait aussi à se méfier: était-ce le signe d’un film consensuel ? Et cette propension à clamer « alerte chef-d’œuvre ! » dès la sortie de la salle n’était-elle pas symptomatique de notre époque, régie par l’instantanéité et la surenchère déclarative ?

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Deux mois plus tard, avant que le film ne remporte trois Golden Globes, on découvrait, le sourcil légèrement froncé par le souci de « juger juste », The Brutalist en projection de presse. Le premier plan-séquence renversant, le format en pellicule VistaVision, la musique de Daniel Blumberg oscillant entre minimalisme et maximalisme en écho avec l’avant-gardisme du héros (un architecte brutaliste juif hongrois rescapé des camps, qui se confronte au rêve américain)…

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La première partie pose avec force le décor, les enjeux, le style. Avant un entracte de quinze minutes. Soit, on reconnaît une certaine audace. Et dans la deuxième partie, une évolution significative: des femmes débarquent au premier plan et donnent une autre dimension au film. Au terme d’une autre heure et quelques, un épilogue vient encore rebattre les cartes. En quelques phrases, quelques secondes, se trouve soudain condensé le reste de la longue carrière de l’architecte, alors que c’est la construction de son premier bâtiment brutaliste américain qui a occupé jusqu’ici tout l’écran et toute la durée de The Brutalist.

The Brutalist de Brady Corbet (c) Copyright Universal Pictures
The Brutalist de Brady Corbet (c) Copyright Universal Pictures

A-t-il pu bâtir son grand chef-d’œuvre aussi tôt dans sa carrière, rendant la suite honorable mais plus mineure ? Un chef d’œuvre n’est-il pas censé être le fruit d’une maîtrise parfaite, l’aboutissement d’une carrière entière ? C’est ça qui, pour nous, a tout emporté : s’il est impressionnant, bien fait, bien joué (le trio Adrien Brody, Felicity Jones et Guy Pearce en tête), The Brutalist se démarque par sa conscience de ce qu’il produit et reproduit dans l’histoire du cinéma, et par la remise en question d’un statut intouchable.

Notre entretien avec Brady Corbet, avant de savoir que le film était nommé dans dix catégories aux Oscars, a confirmé l’intelligence et le recul du cinéaste, qui se méfie autant que nous des proclamations péremptoires au sujet de son film : «Si une personne se met à dire que c’est un chef d’œuvre, ça crée un contre-discours: les gens qui n’ont pas aimé se mettront à vraiment haïr le film. Et puis, c’est trop tôt pour le savoir. Il faudra voir dans de nombreuses années comment le film aura vécu.»

David Lynch
David Lynch, photographié en 2014 à Paris © Philippe Quaisse

Tragique coïncidence, au moment de boucler ce dossier de couverture, David Lynch, l’un de nos cinéastes préférés, disparaissait. Sans vouloir être péremptoires, on ne peut s’empêcher de clamer qu’il nous laisse d’innombrables chefs-d’œuvre et un univers qui feront date dans l’histoire de l’art »

AU SOMMAIRE DU N°211

EN BREF 🏃‍♀️

CINÉMA 🎥

  • En couverture : The Brutalist de Brady Corbet
  • Portrait : Anna Mouglalis pour La Mer au Loin
  • Entretien croisé : l’équipe de Strip tease intégral
  • Histoire du cinéma : Quatre Nuits d’un rêveur de Robert Bresson

CULTURE 🎨

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