QUEER GUEST · Jennifer Cardini : « Dans ma tête, j’étais Mowgli : pas un petit garçon, pas une petite fille. »

On a demandé à des figures queer d’âges et d’horizons différents de nous parler de la première image, vue au cinéma ou à la télévision, qui a fait battre leur petit cœur queer. Cette semaine, la mythique DJ Jennifer Cardini, résidente du Pulp puis du Rex Club dans les années 2000 et 2010 et qui lance son nouveau label Færies Records en collaboration avec l’artiste Lou Fauroux avec trois soirées au Badaboum du 20 au 22 avril.


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« Mon premier souvenir, c’est de regarder dans l’entrebâillement de la porte du salon, à la télé, sur la 3, une scène de vampires où une femme très belle mord une autre femme dans le cou. Il y avait un truc hyper sensuel. Ça m’avait vraiment marquée, troublée. J’avais 7 ou 8 ans, c’est la première image dont je me souviens qui a eu un effet sur moi. Je ne savais pas ce que c’était que ce film. Plus tard, quand je l’ai revu, je me suis rendu compte que c’était The Hunger [Les Prédateurs de Tony Scott, 1983, ndlr]. Le personnage de Catherine Deneuve a des amants et des amantes, elle est plutôt bisexuelle, et séduit Susan Sarandon, qui est hétérosexuelle. L’esthétique du film, les costumes, la musique géniale, David Bowie [qui joue le troisième personnage principale, ndlr]… Par rapport à mes labels, à ma musique et à l’esthétique de ce que je fais, c’est possible que ce soit ce film qui m’ait influencée.

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Je me rappelle que mes parents m’avaient dit que je n’avais pas le droit de voir ce film. Ils devaient le trouver un peu violent, et puis c’était une semaine où j’avais école. Mais avec ma sœur, on a fait ce qu’on faisait à chaque fois : marcher à quatre pattes dans le couloir pour aller se mettre devant la porte entrebâillée et regarder les films qu’on n’avait pas le droit de voir. Je me suis souvenue de cette image, de ce truc hyper sensuel, pendant très longtemps.

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Les Prédateurs de Tony Scott (c) Mission

J’ai toujours su que j’étais queer, il n’y a jamais vraiment eu de question. Cette image n’a pas questionné mon orientation sexuelle, étant donné que dans ma tête, j’étais Mowgli : j’étais pas un petit garçon, j’étais pas une petite fille. C’est un garçon dans Le Livre de la jungle [de Wolfgang Reitherman, 1967, ndlr], mais pour l’enfant de 7-8 ans que j’étais, Mowgli n’était pas genré. J’avais vu le film au cinoche avec mes parents quand j’étais vraiment petite. Et puis j’avais lu le livre, j’avais écouté les chansons… C’était mon premier vinyle, d’ailleurs !

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J’ai grandi à Monaco, alors pour la représentation queer, c’était génial… La ville la plus hétéronormée du monde, avec un prince, une princesse. Mon père était franco-italien, genre gros dragueur, et ma mère blonde suédoise sosie de Jane Fonda. Bien dans des stéréotypes hétéros. Je dois avoir un instinct de survie hyper fort…

Après cette image de The Hunger, ça a été assez le désert dans la représentation queer au cinéma. Déjà, il n’y avait que des films où les personnages lesbiens étaient joués par des femmes qui ne l’étaient pas. C’était très difficile de s’identifier, et puis c’était vraiment plein de stéréotypes. Il y a quand même eu Bound [de Lilly et Lana Wachowski, 1996, ndlr], qui était assez hot, il faut dire ce qui est. Mais pareil, je crois que les actrices ne sont pas lesbiennes – peut-être qu’une des deux est bi. Après il y a eu High Art [de Lisa Cholodenko, 1999, ndlr], je devais avoir 22 ou 23 ans, et c’est ce qui se rapprochait le plus d’une image qui pouvait correspondre aux lesbiennes qui m’entouraient et à la lesbienne que j’étais. Mais bon, l’héroïne meurt à la fin…. Et puis elle est addict, il y a des drames. Ça va toujours un peu dans le même sens, les films avec des personnages queer. Ils sont soit junkies, soit dépressifs, soit ils meurent à la fin.

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Il y avait aussi Les Biches [de , 1968, ndlr] avec Stéphane Audran – qui est juste sublime, ultra-sexy, et puis qu’elle ait un prénom de garçon, c’était encore plus sexy. Mais pareil, Les Biches c’est un film très dramatique avec de la violence. De manière générale, j’ai eu beaucoup de mal à m’identifier aux personnages de lesbiennes. Il y a eu la série The L Word [d’Ilene Chaiken, 2004-2009, ndlr] et là c’était carrément « tout le monde est mince, riche, avec des super belles maisons et des super belles voitures ». Il n’y avait pas de juste milieu entre les films dont je parlais et The L Word. Il y a quand même un film que j’avais bien aimé, c’était Go Fish [de Rose Troche, 1995, ndlr], fait par des lesbiennes avec des lesbiennes. Je crois d’ailleurs que l’actrice Guinevere Turner, a joué dans The L Word ensuite [et la réalisatrice, Rose Troche, en a réalisé des épisodes, ndlr].

On se dit qu’avec les années ça s’améliore, mais pas du tout. Genre l’espèce de film de Noël avec Kristen Stewart [Ma Belle-Famille, Noël et moi de Clea Duvall, 2021, ndlr]… j’appelle pas ça une amélioration ! Cela dit, je bosse beaucoup, je ne vais pas en festivals regarder des films indés, j’aimerais bien avoir le temps… Parmi les films facilement accessibles, qui sortent des circuits des festivals queer, il n’y a quand même pas grand-chose. »

Portrait (c) Frederick Altinel

Soirées « Never not raving » les 20, 21, 22 avril au Badaboum

Nouveau label FÆRIES RECORDS, en collaboration avec l’artiste Lou Fauroux

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