QUEER GAZE · Romas Zabarauskas, cinéaste : « Dans la communauté queer, on est un peu fatigués de voir les mêmes sujets abordés de la même manière au cinéma. »

Le très smart et sensible réalisateur lituanien (Tomber pour Ali, 2021) est invité du festival Chéries-Chéris, du 15 au 26 novembre, pour un focus sur le cinéma queer de son pays, dans le cadre de la saison de la Lituanie. Il y montrera son nouveau film, The Writer, son tout premier court et des films qu’il a coprogrammés, comme le doux teen movie lesbien Summer d’Alanté Kavaïté (2015). Il est revenu pour nous sur la construction de son queer gaze et les évolutions de la société dans laquelle il vit.


Queer Gaze est la rubrique de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+.

« Quand j’étais adolescent, à Vilnius, la capitale de la Lituanie, je fréquentais beaucoup les bibliothèques. J’ai découvert des films différents à la bibliothèque locale, qui avait une section VHS à l’époque. Vers 15-16 ans, j’ai vu les films de , de Pedro Almodovar, de Derek Jarman ou encore de John Waters. Et de Christophe Honoré, dont j’ai vu les nouveaux films au cinéma depuis. Ces films m’ont montré une diversité d’identités, mais aussi une variété de visions et de langages cinématographiques. Ça m’a beaucoup inspiré en tant que réalisateur, mais aussi comme jeune homme queer.

Mon film préféré, à l’époque et encore maintenant, c’est All that Heaven Allows de Douglas Sirk [Tout ce que le ciel permet, en VF, sorti en 1955], un mélodrame qui a inspiré beaucoup de réalisateurs queer comme Rainer W. Fassbinder ou Almodovar. C’est intéressant parce que le film n’est pas directement queer. Mais cette histoire d’amour interdit entre une veuve [Jane Wyman, ndlr] et son jardinier [Rock Hudson, star hollywoodienne de l’époque, canon de virilité qui était secrètement gay dans la vie, ndlr], ça évoque quelque chose [en partie car la différence d’âge n’est pas classique, l’homme est beaucoup plus jeune que la femme, ndlr].

All that Heaven Allows de Douglas Sirk © Universal Pictures

Et puis, j’aime bien le côté mélodramatique des dialogues. Aujourd’hui, il y a toute une tendance où on recherche beaucoup le langage des images. Mais pour moi, le cinéma, c’est aussi la langue dramatique. C’est la possibilité de voir les acteurs et leurs personnages de très près, beaucoup plus proche que dans le théâtre. C’est déjà une expérience unique et c’est ça que j’aime au cinéma, par exemple chez des réalisateurs comme Alain Resnais ou Eric Rohmer, qui se concentrent sur les dialogues, où le drame ne repose pas seulement sur le langage visuel.

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Je pense que la première scène queer que j’ai vue, c’était dans un des premiers films d’Almodovar, c’était peut-être dans Kika [1993, ndlr]. Je me rappelle aussi que, quand je voyageais avec ma famille, j’aimais acheter des DVD. J’avais obtenu un DVD de films de François Ozon, qui incluait des courts métrages. Dedans, il y avait Une robe d’été [1996, sur un jeune homme qui, après avoir été qualifié de « folle » par son copain, explore son rapport à l’hétérosexualité et à la féminité, ndlr], que j’ai beaucoup aimé. Je réalise maintenant que j’aime bien les premiers films des réalisateurs. Parce qu’il y a toute une fragilité, une expérimentation dans les premiers pas.

Une robe d’été de François Ozon © Fidélité Film

La Lituanie reste un des pays les plus homophobes. On est dans l’Union Européenne mais on n’a pas encore de reconnaissance des couples de même genre. J’habite avec mon fiancé, ça fait huit ans qu’on est ensemble mais on ne peut pas se marier ni se pacser. On ne peut pas envisager d’avoir des enfants ensemble, d’adopter etc. Ce sont des problèmes réels. Mais parler de problèmes de société à travers un film ne donne pas forcément un chef d’œuvre. On finit très souvent par redire les mêmes choses. Il y a un danger à écrire les films de cette manière, à mon avis. Même dans la communauté queer, on est un peu fatigués de voir les mêmes sujets abordés de la même manière au cinéma.

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Je suis content de ce focus queer lituanien à Chéries-Chéris, pour qu’on puisse constater à la fois la diversité des problèmes mais aussi des visions de réalisateurs qui en parlent ou s’en inspirent dans leurs œuvres, de manières différentes. Julia [de Jackie Baier, 2013, ndlr] parle des problèmes des personnes trans, qui n’ont pas encore de reconnaissance ni la possibilité de transitionner par voie légale ou médicale en Lituanie. A mes yeux, il est aussi très important de renverser les stéréotypes de notre pays. Dans mes films, j’aime bien montrer des gens qui sont discriminés mais qui ont en même temps beaucoup de privilèges. C’est aussi une réalité, et c’est plus juste que de représenter les personnes LGBT uniquement comme des victimes. L’humanité, c’est faire des fautes, des bons et des mauvais choix. Dans The Writer, j’évoque la part de liberté qu’on a dans la vie, combien on est déterminés par des critères sociaux, économiques, géographiques.

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The Writer de Romas Zabarauskas, Courtesy of Naratyvas

Il y a quand même eu beaucoup de progrès dans notre société, il y a plus de visibilité des gens queer et je suis fier d’y avoir contribué. Dans ce focus, on pourra voir mon court métrage Porno Melodrama qui est mon premier film, réalisé en 2011. À l’époque, le film et mon coming-out ont fait scandale en Lituanie. Depuis, la société a beaucoup changé, mais la loi, pas encore. Je reste optimiste, j’ai quand même pu faire mes films. Mon précédent, Tomber pour Ali, et mon prochain, The Activist, ont reçu le financement du Centre national du cinéma lituanien. Je ne me sens pas comme un réalisateur underground en Lituanie. Je fais partie de notre paysage cinématographique. »

Festival Chéries-Chéris, du 15 au 26 novembre aux mk2 Bibliothèque, Quai de Seine et Beaubourg