IARTISTE · Maria Pokrovskaya : « J’utilise l’IA pour faire sortir de moi des choses que je ne peux pas faire sortir autrement. »

Ce qui frappe de prime abord dans le travail de Maria Pokrovskaya, c’est ce choc étonnant entre la modernité des outils exploités et ces œuvres au rendu très tactile et merveilleusement suranné. Cette artiste russe d’une cohérence indéniable nous invite à plonger dans des rêveries quelque fois drôlatiques et souvent cauchemardesques.


zugushoqrfvkl qg iaquoi3

« Je suis diplômée de l’École d’art Rodchenko de Moscou, où j’ai étudié la photographie contemporaine et l’art vidéo. Mon travail de fin d’études était un remake de la peinture classique russe Petit bois de bouleaux d’Arkhip Kouïndji, que j’ai conçu à l’aide de textures scannées de charcuterie. Le résultat évoquait les mosaïques florentines.

Découvrez l’Instagram de Maria Pokrovskaya

La première fois que j’ai utilisé un générateur d’images, c’était en tant qu’éditrice photo pour le média russophone en exil Republic. Très vite, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un univers que je voulais explorer. J’étais comme une enfant à qui l’on aurait offert le plus cool des jouets.

Je suis une cinéphile de longue date et mon travail est, notamment, influencé par l’œuvre de certains réalisateurs d’animation, comme Jan Švankmajer, les frères Quay et Ladislas Starewich.

zugsrhoqrfvkl lq iaquoi

Image capturée sur l

Ce qui m’attire chez ces auteurs, c’est leur fantaisie, leur sens du grotesque et leur capacité à se confronter aux aspects de la vie qui peuvent sembler laids ou effrayants. Ils ont en outre une vision mélancolique et sombre du monde dans laquelle je me reconnais. Je dois dire que la situation actuelle n’incite guère à la joie. J’ai été contrainte d’émigrer de Russie en France à cause de la guerre en Ukraine. Plus de deux ans se sont écoulés et nous constatons que la communauté internationale n’a aucun moyen d’influencer le gouvernement criminel de mon pays. Et il y a les évènements au Moyen-Orient…

Je travaille principalement en noir et blanc pour plusieurs raisons. Tout d’abord, quand j’étais petite, nous avions une télévision en noir et blanc à la maison. Si bien que, pour moi, même les films en couleurs étaient en noir et blanc ! Ensuite, les deux premiers tiers du XXe siècle nous apparaissent principalement en noir et blanc. Par exemple, le Paris des années 60, que nous connaissons par les films de la Nouvelle Vague, est en noir et blanc. Enfin, je dois dire qu’il est plus facile de travailler en noir et blanc : la monochromie me semble supprimer le superflu et mieux transmettre l’essence des choses. En somme, j’aime la couleur, mais la beauté du noir et blanc me semble plus perceptible.

Il y a aussi beaucoup d’insectes dans mes œuvres. Ils viennent en partie de mon amour pour La Métamorphose. Kafka est un écrivain très important pour moi. Je me sens proche de sa vision du monde. Les insectes sont également des créatures extrêmement différentes de nous Ils sont comme des extraterrestres qui vivraient à nos côtés. C’est pourquoi nous ne pouvons pas nous identifier à eux et que de nombreuses personnes en ont peur. J’ai d’ailleurs été longtemps entomophobe. Mais aujourd’hui, je les regarde avec curiosité. Ce désir de mieux connaître l’altérité est, selon moi, un sentiment qui s’oppose parfaitement à la peur.

zugt2roqrfvkl

Image capturée sur l

Concernant l’avenir des I.A., j’espère que ces outils resteront accessibles au plus grand nombre et qu’ils donneront aux créateurs la force de frappe de studios entiers pour, par exemple, qu’ils puissent créer, seuls, des films et des dessins animés. À titre personnel, j’ai toujours voulu faire de l’animation, mais je ne suis pas du genre à travailler en équipe. Or, je pense que ces processus deviendront bientôt beaucoup plus faciles grâce à l’IA.

Par ailleurs, j’ai toujours eu peur de l’universalisation, de l’effacement des différences, que les voix uniques ne soient plus audibles. Et, à titre personnel, j’utilise l’IA pour faire sortir de moi des choses que je ne peux pas faire sortir autrement. »