I.A. QUOI ? · Effets spéciaux pour tous !

L’édito de Julien Dupuy : Pionnière dans l’utilisation des I.A. (il y avait déjà un équivalent d’I.A. dans « Tron » en 1982), l’industrie des effets spéciaux visuels du cinéma doit actuellement subir le feu nourri de plusieurs adversaires de taille.


e2b7dba4 2889 4bf4 9f95 07ca42ffed6b image002

De plus en plus sollicités par les cinéastes, les artistes de cette industrie sont astreints à une pression d’autant plus difficile à supporter, qu’ils doivent survivre dans un milieu extrêmement concurrentiel : faute de contrainte géographique, ce corps de métier est fréquemment délocalisé, en Inde et en Asie principalement. Mais surtout, leur capacité à retoucher les images ad nauseam, grâce notamment aux I.A., s’est retournée contre eux. Il est, par exemple, de notoriété publique que les producteurs des films Marvel se permettent de modifier tardivement des décors entiers, de retirer ou d’ajouter des personnages, de modifier un costume.

Dernier exemple en date : alors que le montage était bien avancé, Marvel a exigé d’ajouter numériquement des épaulettes au costume du Maître de l’Évolution, grand antagoniste des Gardiens de la Galaxie Volume 3. Ailleurs, la situation n’est pas plus enviable. Le film DC The Flash a souffert des changements tardifs apportés au film : l’équipe des effets spéciaux a dû terminer dans des délais intenables un final rempli de caméos (Christopher Reeves et Nicolas Cage en Superman notamment). Une gageure extrêmement risquée qui aura mis à genoux l’équipe pour un résultat embarrassant.

Cette pression exercée sur les artistes des effets spéciaux numérique s’accompagne de l’émergence sur les réseaux sociaux d’une concurrence impressionnante grâce aux capacités des I.A. et du DeepFake. Si des vidéastes se livrent désormais à des critiques des effets spéciaux visuels (l’excellente équipe de Digital Corridor en particulier), certains internautes s’amusent à se comparer aux cadors de l’industrie, en rectifiant des plans truqués jugés ratés.

Ainsi, l’Anglais Shamook a comparé son Mark Hamill numérique réalisé grâce aux DeepFakes, avec celui conçu à grands frais par Industrial Light & Magic pour la série Disney + The Mandolorian.

Et les Allemands de VFX Geek ont rectifié, avec une réussite indéniable, des plans truqués de La Ligue des Justiciers.

Cette tendance est à rapprocher de la mise à disposition pour le grand public d’outils dopés aux I.A. et capables de modifier en un temps record des vidéos ou des photos. N’importe quel détenteur d’un smartphone récent peut désormais s’improviser magicien de l’image grâce à des applications d’une simplicité d’utilisation confondante. On peut dès lors s’interroger sur l’avenir à long terme des compagnies d’effets spéciaux mais aussi des blockbusters hollywoodiens qui, pour la plupart, misent sur leur capacité à offrir au public des scènes à grand spectacle, remplies d’effets spéciaux impressionnants.

Bonus : L’incroyable bande démo de la société Weta Digital pour Les Gardiens de la Galaxie : Volume 3.

I.A. PLAYLIST

Le célèbre astrophysicien Neil deGrasse Tyson a partagé, avec passion, son point de vue sur les I.A. dans le Late Show de Stephen Colbert : « Je viens d’apprendre que quinze de mes livres ont été utilisés pour nourrir les I.A. En tant qu’éducateur, je trouve ça formidable : il faut que le savoir soit accessible à tous. Pour le reste, je dois encore y réfléchir. » La totalité de l’entretien mérite le visionnage.

Où l’on apprend que les I.A. pourraient nous permettre de parler avec les animaux, et donc de comprendre ENFIN les chats !

Voir ici.

4ce52cd7 09cc 4ec1 93ad a892692ff330 pzud

Vous pouvez désormais générer vos propres GIF à partir d’un simple texte grâce à ce site. L’outil, encore balbutiant, est prometteur.

I.ARTISTE

Très inspiré des classiques du cinéma d’horreur des années 1980, Davey Jones déploie depuis des mois sur son compte Instagram des visions à la fois hilarantes et effroyables d’un parc d’attraction adapté de l’œuvre de Lovecraft. Mais pour que continue cette farandole grandguignolesque, cet artiste doit lutter contre la censure des I.A. génératives.

« Je suis artiste d’effets visuels et animateur. Aujourd’hui, je travaille principalement comme animateur de personnages pour des jeux vidéo. 

Vers novembre 2022, j’ai commencé à demander à Midjourney de générer un parc à thème basé sur le mythe de Cthulhu, un croisement entre Disneyland et Evil Dead 2 en quelque sorte. C’est une idée que j’adore explorer mais qui m’a aussi amené à être confronté à la censure de ces générateurs.

Je me suis en effet aperçu que les créateurs d’algorithmes ont décidé de censurer certaines idées parce qu’ils pensent qu’elles pourraient déboucher sur des images susceptibles de choquer. Ca n’est pas totalement une découverte : les créateurs de Midjourney ont depuis longtemps fait part de leur méfiance à l’égard de l’horreur. Mais il semble que nous nous rapprochions d’une interdiction de plus en plus stricte à chaque nouvelle révision de l’algorithme, en particulier avec Midjourney v5. J’étais sur le point de me désabonner lorsqu’ils se sont soudainement radoucis. Apparemment, ils avaient mis tellement de contraintes, que même les personnes qui essayaient de créer des images sans rapport avec l’horreur voyaient leurs travaux censurés !

81c8b2b0 a1ee 4853 80a1 b37669450ab9 image003

Je pense que tant que vous générez des images dans un canal privé, ils devraient vous laisser faire ce que vous voulez si, bien entendu, votre travail n’enfreint pas la loi. L’horreur (même le body horror dégoulinant à la David Cronenberg) ne fait de mal à personne tant que vous ne forcez pas les gens à la voir. Et puis il me semble idiot d’interdire aux gens de créer des images qui sont acceptées dans le reste de la culture pop depuis des années, qu’il s’agisse de comics ou de films.

Cette situation est tout de même orwellienne. Imaginez qu’Adobe décide de ce qu’il est acceptable ou pas de créer dans Photoshop ? Que les appareils photo soient dotés de censeurs empêchant les gens de capturer des scènes sanglantes ou contenant des monstres ? Et serait-il envisageable qu’un traitement de texte se mette à censurer certains mots ou certaines phrases ? Ce serait la mort de l’art !

Avec le reste de la communauté de l’horreur qui œuvre sur ces générateurs, nous essayons de nous entraider. Ensemble, nous trouvons des moyens de contourner la censure. Je ne veux pas dire explicitement comment nous procédons, de peur que quelqu’un de Midjourney ne découvre nos astuces et ne les réprime ! Je dirais néanmoins que la meilleure chose à faire est de prendre des biais : ne demandez pas du sang directement, mais de la peinture rouge par exemple. Il faut presque penser vos travaux comme à un effet spécial à l’ancienne, lorsque du poulet cru avait été utilisé pour l’intérieur de l’œuf extra-terrestre de Alien, le huitième passage de Ridley Scott.

f26f7147 5693 4824 8244 71649c2ffaa0 image001

Ces générateurs d’images restent cependant des outils incroyables. Je suis un artiste traditionnel qui travaille dans l’infographie depuis le début des années 90. Et bien que je puisse créer ces images dans Maya ou Blender, ou même les peindre dans Photoshop, il me faudrait des années pour générer le contenu que j’ai exposé sur Instagram. Cet outil me permet de raconter mes histoires rapidement, sans argent et sans avoir à engager un studio plein d’artistes – ce que je ne pourrais pas me permettre de faire ! Ce que j’aime le plus avec les générateurs d’images, c’est lancer des idées et voir ce que la machine me propose. Parfois, lorsque les images commencent à apparaître sur mon ordinateur, j’ai l’impression d’être au matin de Noël !  Cette technologie est comme une caméra qui pointe dans une autre dimension. 

Enfin, pour conclure, j’aimerais mettre en lumière d’autres artistes qui créent des visions horrifique par I.A. et qui trouvent encore des moyens de s’exprimer malgré la folie de la censure : lithium_smoothie / vikkarot / kostle_laugh_with_dead / hellimagery / dec4r4bi4 / nonserviumhorror / lightbeyondtheframe / horrifque / horror.i / spacewalk_zombie / hotel.for.corpses »

Image de couverture : © Davey Jones