I.A. QUOI ? · De la perfection à l’obsession

[L’édito de Julien Dupuy] L’élasticité de l’image permise par l’émergence des technologies numériques dans les années 1990 (montage, étalonnage, retouches en tout genre) semble atteindre son pinacle avec les I.A.


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On en veut pour preuve l’arrivée de logiciels de postproduction comme Deep Editor, qui proposent un contrôle sur le jeu des comédiens vertigineux. Il est en effet désormais possible de rajouter, au moment du montage, une ligne de dialogue en adaptant les mouvements labiaux, de modifier le timing du jeu d’un acteur ou encore d’importer son interprétation d’un plan à un autre. Deep Editor serait déjà adopté par plusieurs grandes compagnies de production et a obtenu la validation des pourtant très vigilants syndicats d’acteurs américains.

On imagine bien qu’un outil de ce type va ravir certains cinéastes qui souffrent de devoir composer au montage avec un matériau insuffisant ou déficient. On peut également redouter que des producteurs tyranniques modifient ad nauseum des films qui ne satisferaient pas le public des projections test. Mais on peut aussi se demander si cette capacité à modifier à l’infini une œuvre, n’exige pas des artistes une grande discipline.

Après tout, cette élasticité numérique a déjà commis des dégâts. Le plus flagrant concerne le travail de sape de George Lucas qui, de 1997 au rachat de sa compagnie par Disney en 2012, n’a eu de cesse de modifier sa trilogie de La Guerre des étoiles, dénaturant l’œuvre initiale à grands coups de retouches numériques : décors étendus, personnages effacés ou ajoutés, mais aussi jeu de comédien modifié (dans Un Nouvel Espoir, Yan Solo tire désormais le premier face à l’alien Greedo).

I.A. QUOI ? · Les IA ont-elles du style ?

Ce précédant, à la fois révoltant et fascinant, est à lui seul une alerte sur les effets néfastes de cette quête de perfectionnisme. En particulier à l’heure où les films peuvent être, également, modifiés au moment de leur exploitation. Ce fut, rappelons-le, le cas de l’adaptation de la comédie musicale Cats, dont les effets spéciaux furent améliorés quelques jours après l’arrivée du film dans les salles obscures, suite à un retour critique calamiteux. Il avait suffit que le studio Universal envoie un nouveau fichier aux exploitants, pour que cette version mise à jour soit projetée. Le film s’est malgré tout soldé par un échec monumental. Il n’empêche que Cats laisse entrevoir une possible dérive de l’évolution du médium.

I.ARTISTE · Synthetic_Pink : « J’aime exploiter les défauts de l’I.A»

Cependant, ce risque qui guette les producteurs comme les cinéastes n’est pas né avec les I.A. ni même avec le cinéma. En peinture, le droit au Repentir existe depuis les enluminures du Moyen-âge mais s’est popularisé avec la plus grande flexibilité offerte par la peinture à l’huile. Il désigne la possibilité que s’octroie un artiste de modifier son œuvre après qu’il l’ai jugée un temps terminée, parfois même quand l’œuvre a déjà été exposée au public.

Ainsi, des radiographies de couches de peintures, ont révélé que Caravage ou Courbet avaient utilisé ce droit au Repentir bien après avoir révélé au public certaines de leurs toiles. Et puis il y a le cas extrême du peintre Pierre Bonnard, perfectionniste maladif qui s’était fait rattraper par un gardien alors qu’il s’était introduit subrepticement dans un musée, pour retoucher une de ses œuvres exposées.

Encore une fois, donc, les I.A. nous confrontent à des questions fondamentales sur notre rapport à l’art. En l’occurrence, on peut se demander s’il n’est pas vital qu’un artiste accepte d’abandonner son œuvre, pour la laisser vivre et s’épanouir une fois qu’elle a été confrontée au public. Plus que jamais, le lâcher-prise risque de devenir une valeur cardinale des artistes du futur.

EN + Un tuto très accessible de l’équipe de Curious Refugee sur plusieurs outils permettant de modifier en postproduction le jeu d’un comédien.

EN + Des fans ont tenté de reconstituer les versions originales de la trilogie de La Guerre des Étoiles à travers des sources éparses. Le point sur ces films dits « Despecialized » dans cette vidéo.

Artefact AI Film Festival : nos 5 coups de cœur

I.A. PLAYLIST

Tom Cruise, plus casse-cou que jamais dans cet amusant Deepfake.

 

Une I.A. décrit votre personnalité en fonction de vos posts sur Twitter/X, et peut même s’en servir ensuite pour vous brosser un portrait plein de cruelles vérités.

 

Une preuve, par l’image, que les générateurs d’image sont allégrement nourris de matériaux pourtant protégés par le copyright.

Une reconstitution à l’aide d’I.A. et des quelques archives disponibles, de la fin originale de Shining de Kubrick, aujourd’hui considérée comme définitivement perdue. Le résultat n’est pas convaincant, mais l’intention ne manque pas d’intérêt.

Image : Capture d’écran de The Shining – Hospital Scene AI Reconstruction