IARTISTE ⸱ Carole Tagliaferri : « Je m’exprime à travers des mots qui ne sont lisibles qu’à travers une image. »

Intimes et éthérés, les portraits de femmes de Carole Tagliaferri flottent entre le rêve et une réalité d’un photoréalisme troublant. Déployant une œuvre d’une grande cohérence, cette I.Artiste nous expose une vision de ce médium d’une logique imparable.


« Je suis une directrice artistique et graphiste animée par trois passions : les nouvelles technologies, la poésie et l’image. J’étais donc amenée à rencontrer les I.A. J’ai la sensation qu’avec ces nouveaux outils, tout que tout ce que j’aime a trouvé un point de concordance. Ainsi, je tape du texte, qui contient des éléments de littérature, de poésie, pour obtenir une image. Je m’exprime donc à travers des mots qui, en quelque sorte, ne sont pas lisibles ou, pour le dire autrement, ne sont visibles qu’à travers une image. C’est même ce qui m’a amenée aux I.A., cette possibilité de partir d’un texte pour aboutir à une image. Ce sont comme différents champs qui s’agrègent.  

Ceci dit, la première fois que j’ai testé un générateur, j’ai trouvé les résultats nullissimes. J’ai laissé tomber quelques temps, puis j’y suis venue après avoir découvert sur la toile des travaux enfin intéressants. En testant ces outils à nouveau, j’ai déniché une piste prometteuse, mais qui ne me satisfaisait pas pleinement. J’ai donc creusé jusqu’a obtenir un résultat acceptable. Cependant, je ne voulais pas montrer mon travail au début, c’était trop intime. J’ai tout de même fait l’effort de partager certains travaux sur les réseaux sociaux et j’ai reçu tellement de retours, que ça m’a bouleversée. Je commence à avoir une belle communauté qui apprécie mon travail et, surtout, reconnaît mon style. Mais je suis plus en contact avec des étrangers : aux États-Unis, en Italie et surtout en Suisse, les gens me semblent très réceptifs aux I.A., là où en France, l’I.A. reste un combat d’arrière-garde. 

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Mon processus consiste à réitérer plus d’une centaine de fois avant de parvenir à mes fins. Ensuite, je retouche mes travaux avec Photoshop. Pour moi, les I.A. ne font rien seules. Elles ne comprennent même jamais ce que je veux, je dois donc les guider. Même s’ils ne sont jamais une fin en soi, je peux avoir des accidents heureux. D’ailleurs, plusieurs peintres m’ont fait part d’expériences similaires : en travaillant, ils sont aussi guidés par leurs travaux, par exemple avec un mélange de couleurs inattendues. L’œuvre acquiert ainsi, en quelque sorte, une autonomie. Par ailleurs, je fais de la photo et cette activité impacte forcément mes travaux : je rajoute des aberrations optiques, du grain, des flous de bouger, etc. J’aime travailler sur un mouvement qui serait figé. 

Je ne fais que des personnages féminins : j’ai été élevée en tant que fille unique, j’étais solitaire, j’avais la sensation d’être différente. Or, j’ai toujours eu ce désir de sororité qui s’exprime aujourd’hui. Il y a d’ailleurs souvent des femmes doubles dans mes œuvres, comme un désir d’appartenir à ce monde. Et puis, je crois être moi-même assez double. Par ailleurs, j’essaie de chercher une certaine vérité dans les regards, je déteste les yeux vides que les I.A. peuvent produire. L’eau est aussi très présente dans mes travaux. Cet élément fait écho, selon moi, à une idée d’univers rêvé, de flottaison entre la réalité et un monde fantasmé. 

Comme pour toutes les nouvelles technologies, la réaction première des gens est la peur. Mais je pense que l’I.A. est déjà installée. Je ne connais pas l’avenir, mais il me semble que l’attitude la plus productive serait de l’appréhender, de la comprendre, pour l’exploiter, ou savoir pleinement pourquoi on s’en détourne. » 

Image : © Carole Tagliaferri