QUEER GAZE · Tahnee, humoriste : « Dans la série ‘‘Master of None’’, c’était la première fois que je voyais autant d’images d’un couple de femmes noires. »

La comédienne, humoriste et chroniqueuse française Tahnee a retrouvé pour nous les premières images de cinéma et de séries qui ont résonné avec son identité queer. La trentenaire vient de reprendre son spectacle « L’autre », stand up hilarant dans lequel elle évoque – entre beaucoup d’autres sujets – le fait d’être métisse et lesbienne, qui s’arrête à La Cigale le 25 octobre et part en tournée en France jusqu’en 2025.


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Queer Gaze est  de notre journaliste Timé Zoppé sur le cinéma LGBTQ+.

« Parmi les premières images, il y a eu le film de Xavier Dolan, Laurence Anyways [sorti en 2012, ndlr]. Sans me poser de questions par rapport à moi-même, je me sentais connectée à cette idée de se sentir différent, de ne pas rentrer dans les normes. Je me souviens de cette scène où les héroïnes dînent. Il y a une altercation avec la dame du restaurant et le personnage de Suzanne Clément prend la défense de sa meuf [jouée par Melvil Poupaud, ndlr], qui est en train de débuter sa transition. Ce moment m’a marquée parce que dans sa colère, il y avait quelque chose qui me parlait. Le fait de défendre nos existences, d’en avoir marre d’être toujours regardés de travers… J’avais dû regarder le film, en DVD ou sur internet, je devais avoir la vingtaine.

Bon, ce n’est pas le film le plus apprécié de la communauté, mais il y a eu aussi La Vie d’Adèle en 2013, qui a été une grande claque. J’ai fait mon coming in [s’avouer à soi-même qu’on est queer, ndlr] un peu après, à 25 ans. C’est que finalement, je me posais déjà un peu des questions… Mais j’ai dû évacuer ça pendant quelques années. Ces films étaient comme des petits indices, mais je n’étais pas du tout prête à me l’avouer, à me dire « Ça me touche parce que je me sens concernée ». Je me positionnais peut-être plus dans ma tête en tant qu’alliée.

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J’ai un autre fort souvenir d’un film, Moonlight [de Barry Jenkins, 2016, ndlr], sur une histoire entre deux hommes gays noirs-américains. Je me souviens que j’y étais allée toute seule et que malheureusement, j’étais tombée dans une salle où il y avait des jeunes qui manifestement ne savaient pas ce qu’ils allaient voir. Au moment du premier baiser entre les deux héros, ils se sont mis à éclater de rire. Ça m’a mise dans une colère folle, je crois que je leur avais dit de se taire. Il y avait eu une petite altercation, je me souviens que c’était hyper violent et j’étais sortie en pleurant. C’était déjà se rendre compte de la difficulté de trouver des images, des imaginaires qui peuvent nous parler.

Moonlight de Barry Jenkins © A24 / DCM / David Bornfriend

Du côté des séries, avec ma famille, on regardait beaucoup Desperate Housewives [2004-2012, ndlr]. Dans un des épisodes, il y a une meuf qui embrasse une fille. Il y a d’ailleurs un personnage lesbien, qui part très rapidement je crois. J’étais genre « ahhhh », j’ai ressenti de la chaleur et tout alors que le personnage n’est vraiment pas très présent. A part ça, on ne regardait pas trop la télé, et je ne suis pas non plus une pro du piratage et des téléchargements sur internet. Et puis, je ne me serais pas lancée toute seule dans une série lesbienne. De toute façon, avant 20 ans, j’étais hyper focus sur moi, sur mes études, être bonne élève, réussir, ne pas se faire déconcentrer par les relations amoureuses.

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Plus tard, il y a eu The L Word [2004-2009, ndlr], que j’ai rattrapéetardivement. Quand j’étais ado, je faisais beaucoup de tennis et j’avais des copines qui regardaient la série. Je me disais « mais pourquoi elles regardent ça ? » Il y avait du jugement. J’aurais été curieuse de regarder, mais je me disais « c’est pas bien ». Quand j’ai fait mon coming out, j’ai rencontré des copines qui organisaient tous les dimanches des viewing parties, des visionnages collectifs, j’ai rattrapé la série comme ça. C’était vraiment des moments de joie, on se retrouvait entre meufs et on rigolait. Bon, on ne suivait pas forcément tout… Souvent, on parlait pendant les épisodes, on mettait ça en fond. Ça faisait vraiment partie de ce début de sociabilité lesbienne.

Aujourd’hui, je ne regarde pas des masses de séries, mais dernièrement, j’ai beaucoup aimé Heartstopper [la troisième saison vient de sortir sur Netflix, ndlr], même si c’est plus gay que lesbien. Il y a eu Orange Is the New Black [2013-2019, ndlr], que j’ai aussi rattrapée a posteriori. A chaque fois, je me disais que j’aurais trop aimé avoir regardé ça ado. J’étais là « mais où j’étais pendant tout ce temps ? » Je pense que ça m’aurait aidé d’avoir des représentations, de savoir que ça existe, que ça peut ne pas être un problème.

Orange Is the New Black de Jenji Kohan © Netflix

J’ai aussi été marquée par la série de Lena Waithe, Master of None[Lena Waithe a écrit et joué un personnage au centre de la troisième saison, diffusée sur Netlfix en 2021, ndlr]. Il y a cet épisode où elle parle d’un projet de PMA avec sa meuf. Je trouvais ça très contemporain et c’était la première fois que je voyais autant d’images d’un couple de femmes noires. Comment elles vivent le quotidien ? Ça parle aussi de PMA, de parentalité, de tous les doutes, de la complexité du processus. J’ai adoré. C’est vraiment une série où j’avais envie de mettre pause et juste regarder l’image pour me dire « oh là là, ça existe ! Mon dieu, c’est trop beau ! » D’ailleurs, j’ai fait un post dessus sur Instagram.

Master of None de Aziz Ansari et Alan Yang © Netflix

J’aimerais mettre plus de références à cette culture queer et lesbienne dans mes spectacles, mais c’est un peu le serpent qui se mord la queue parce que justement, c’est pas bien connu. Pour faire de l’humour, il faut quand même créer une certaine connivence. Et en même temps, si personne n’en parle jamais, ce ne sera jamais connu… Je constate qu’aujourd’hui, il y a quand même beaucoup plus de d’images, d’imaginaires queer qui se diffusent au cinéma, dans l’humour ou sur internet. On voit qu’il y a de plus en plus de films avec des sujets queer qui reçoivent des prix, qui sont appréciés. Voir des Hannah Gadsby qui font des spectacles régulièrement sur Netflix et plein d’humoristes queer qui commencent à décoller…. Ça, ça donne du crédit, ça donne de la force. »

 Spectacle « L’autre », le 25 octobre à la Cigale à Paris puis en tournée en France

Image © Laura Gilli