I.A. QUOI ? · L’animation à l’épreuve des I.A.

L’édito de Julien Dupuy. Les utilisateurs d’I.A. adorent imiter le style des grands studios d’animation. Prompjungle par exemple a tenté de guider les I.A. vers le style Ghibli, avec un résultat d’une laideur d’autant plus répugnante qu’elle rappelle qu’Hayao Miyazaki avait qualifié l’animation par I.A. d’« insulte à la vie elle-même. »


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Le studio Ghibli inspire l’animation faite par intelligence artificielle

L’avis de Hayao Miyzaki sur l’intelligence artificielle

La relation entre les animateurs traditionnels et les I.A. s’est tendue un peu plus avec l’expérience fascinante de la talentueuse équipe de Corridor Crew. En deux vidéos, ces artistes des effets spéciaux ont mixé plusieurs outils I.A. pour transformer une scène filmée avec des comédiens devant fond vert en un court métrage se revendiquant des animés nippons. Le résultat, plutôt convaincant, a suscité bien des débats et surtout la réaction, sur sa chaine YouTube, d’un des vidéastes les plus passionnants dans le domaine de l’animation : Aaron Baise.

Aaron Blaise a le double avantage de bénéficier d’une expérience de plus de 35 ans dans l’animation dite traditionnelle et d’avoir assisté, au long de sa carrière, à l’émergence des technologies numériques. Dès Basil, détective privé en 1986, elles permirent au studio Disney d’obtenir des décors ou des objets en 3D au déplacement extrêmement souple pour pouvoir, par exemple, permettre aux réalisateurs de créer des mouvements de caméra. Blaise, qui a persisté à dessiner sans ordinateur jusqu’en 2005, a longtemps rejeté les technologiques numériques : « Il faut avoir une maitrise totale du dessin pour insuffler à un personnage animé du mouvement. Or, dans les années 1990, j’ai vu des animateurs investir notre médium alors qu’ils savaient à peine tenir un crayon. J’ai eu du mal à m’y faire. On a un instinct de protection territoriale, c’est normal. »

Blaise est en revanche bien plus mesuré aujourd’hui. Dans l’une de ses vidéos, il salue le travail de Corridor Crew tout en expliquant pourquoi leur test souffre des défauts des films d’animation exploitant le « rotoscoping », une méthode datant des années 1930 et consistant à créer son animation en décalquant le déplacement d’acteurs filmés. Et surtout, il souligne la valeur humaine de son corps de métier : « Être animateur, c’est comprendre, avec sa sensibilité propre, les émotions et les transmettre à un dessin, une marionnette ou une image de synthèse. C’est un travail très personnel qui ne peut pas être automatisé. (…) Ce qu’a fait Corridor Crew, c’est appliquer un filtre sur des images tournées en live, rien de plus. »

Mais surtout, Blaise s’appuie sur sa propre expérience pour rappeler que, dans l’animation, aucune nouvelle technologie n’a remplacé la précédente. L’animation en volume image par image, par exemple, n’a jamais été aussi florissante qu’aujourd’hui. Il raconte aussi combien l’automatisation, grâce à des outils basés sur des I.A., des taches les plus rébarbatives de son métier lui permet d’élargir son champ des possibles et de se concentrer sur l’essentiel. Et sa conclusion est franchement exaltante : « Est-ce que j’ai peur ? Au contraire, je trouve ça excitant. Et ce que je vais faire, c’est me remettre à travailler sur mon film d’animation en vous conseillant de vous saisir de toutes ces technologies pour insuffler un peu plus de beauté dans notre monde. »

BONUS :

– Le YouTubeur Noggi, spécialiste de la modélisation 3D, tente de recréer certaines des plus belles scènes du Voyage de Chihiro en 3D. Sa conclusion, après plusieurs journées d’efforts : « On perd l’expressivité des personnages, je ne vais certainement pas réussir à convaincre Myazaki San avec ce test. »

– Le vidéaste animateur Narmak donne son point de vue sur l’arrivée des I.A. dans le milieu de l’animation.

Andymation, qui travaille notamment chez Aardman, a essayé de créer une animation en utilisant ChatGPT.

I.A. PLAYLIST

À l’aide de Midjourney, Avihai Eliasi a imaginé des affiches de films « à la manière de ». On trouve dans sa série un Silence des Agneaux par Menashe Kadishman, Les 101 Dalmations façon Yayoi Kusama ou E.T. L’extra-terrestre par Antoni Gaudi.

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Source : Facebook

Joel Silver, roi du blockbuster des années 1980 (L’Arme Fatale, Piège de cristal), aurait été licencié d’une production Amazon Prime parce qu’il se serait, entre autres choses, opposé à l’utilisation de l’I.A. pour terminer un remake de Roadhouse. Les détails de l’affaire dans cet article de Variety.

L’un des géants du jeu vidéo, Electronic Art, vient de déposer un brevet pour permettre aux joueurs de prêter leur propre voix aux personnages jouables. Une innovation dont pourrait bénéficier le prochain Mass Effect.

Source : Tom

I.ARTISTE

Basé à Philadelphie, Jason Hsu, qui a travaillé pour MTV, Adult Swim ou Sony Music, se qualifie comme un artiste à la fois surréaliste, psychédélique, expressionniste et maniériste. Nous ajouterons que son œuvre en devenir est surtout hypnotique.

« Je travaille en freelance depuis 15 ans maintenant. J’ai fait du web design, des accessoires et des décors pour des vidéos et je suis ensuite passé au compositing et à l’animation. J’ai aussi travaillé avec des simulateurs 3D. Ils sont utilisés en animation ou dans les effets spéciaux pour créer les mouvements de flammes, de tissus ou de masses aquatiques : ils consistent à pauser une série de paramètres puis à laisser le logiciel calculer l’image définitive en fonction de règles physiques prédéterminées. Autrement dit, vos commandes vont avoir un effet domino jusqu’à l’image finale. Il faut donc parvenir à s’exprimer dans un processus qui nous échappe en partie. Ça n’est pas très éloigné des outils I.A.

Je suis un autodidacte en animation 3D et j’ai appréhendé les I.A. de la même façon : c’est un outil que je me devais de comprendre pour mieux l’utiliser. J’ai très rapidement aimé le fait qu’il faille apprivoiser le dialogue avec l’I.A. pour obtenir quelque chose qui allait résonner avec mes pensées. Créer avec ces outils revient à se mettre dans un état de transe. Et ce que je produis in fine est une sorte de distillation des sensations qui étaient dormantes en moi. J’aime également exploiter les I.A. à partir de mes propres matériaux, comme mes photos par exemple. On dit souvent qu’une image vaut mille mots, et cet adage se vérifie avec ces outils : vous pouvez guider les I.A. avec une précision accrue.

J’accorde une très grande importance à la qualité des textures et des surfaces, mais aussi aux mouvements. Le procédé est très en lien, selon moi, avec les expériences psychédéliques : tout repose sur des cercles récurrents. Et trouver cet équilibre entre le chaos et l’ordre débouche sur ces explosions de visions viscérales.

Il va falloir que les artistes exploitant l’I.A. fassent le distinguo entre l’art et l’art marchand. Le fait que nous utilisions autant les réseaux sociaux pour partager notre travail peut devenir un souci : il faut résister à la tentation de chercher la popularité en nourrissant ces réseaux d’une foultitude de contenu, au détriment d’œuvres réellement méritantes. Je trouve également repoussant de voir des gens qui exploitant les I.A. pour imiter les œuvres d’artistes existants. Le propre de l’art, c’est d’exprimer une chose qui vous est très personnelle. Et puis il faut être très clair dans l’usage de l’I.A., l’assumer. En cachant l’utilisation de l’I.A., vous risquez de rendre toute nouvelle œuvre d’art suspecte.

L’I.A., selon moi, est un immense territoire d’idées visuelles à explorer. Et je considère que c’est un progrès immense qu’elles soient accessibles au plus grand monde, ce qui n’était pas le cas de l’animation 3D par exemple. Pour résumer ma pensée, je reprendrais un commentaire que j’avais lu sur internet : « Les outils I.A. ont rabaissé le niveau pour entrer dans le milieu de l’art. Mais le plafond, lui, est toujours aussi haut. » »

Image de couverture : capture écran de la vidéo MTV Artist Ident de Jason Hsu