QUEER GUEST · Apichatpong Weerasethakul : « Flash Gordon est tellement beau, musclé : c’est aussi simple que ça »

Quelles images queer ont agité, dans sa jeunesse, le grand cinéaste des rêves, Palme d’or en 2010 ? À l’occasion de sa rétro au Centre Pompidou, on a cuisiné le maître thaïlandais (« Cemetery of Splendour », « Memoria »), que l’on connait plutôt réservé, sur ses premiers émois à l’écran.


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« Cela va vous décevoir. J’ai perdu le nom du premier film qui a provoqué un émoi érotique chez moi. Il existe dans ma mémoire, mais voilà dix ans que j’en cherche le titre. Je me rappelle une esthétique des années 1970 très vaporeuse, une affiche rouge, un récit d’espionnage ou de guerre… J’avais moins de 10 ans quand je l’ai vu, et il y avait ce personnage venu d’Allemagne ou de Russie. J’étais très attiré par lui et par la relation impossible qu’il entretenait avec l’héroïne. À la fin, il était tragiquement tué. Je ressentais des choses très étranges à l’égard de ce type. Ce film n’a pas seulement marqué un éveil au sexe, mais aussi un éveil à la violence et à la mort, intriquées dans l’amour.

À l’adolescence, j’ai découvert Flash Gordon, dans le film d’action du même nom de Mike Hodges sorti en 1981 [joué par Sam J. Jones, Flash Gordon est un quarterback aux cheveux blonds lissés, entraîné dans une guerre intergalactique, ndlr]. Le gars est tellement beau, musclé : c’est aussi simple que ça. J’aime ce côté sexy-kitsch appliqué à la science-fiction. Ornella Muti, qui joue la princesse Aura, c’est moins mon genre, mais je la trouvais sublime aussi. L’érotisme n’est pas une affaire de sexualité, de penchant, de masculinité ou de féminité. Il relève plutôt d’une magie, liée dans ce film à une fantaisie qui entremêle la science et l’avenir. Il faut s’imaginer que j’ai grandi dans une petite ville, en pleine campagne, dans le nord de la Thaïlande. Pour moi, tout cela appartenait à un autre monde, à un rêve.

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Mais l’acteur qui incarne le queer comme personne, c’est Sērī Wongmonthā (Saving Private Tootsie). En Thaïlande, c’est une star de la télévision. Il a imposé et normalisé cette idée d’un “troisième genre”, pas bien défini, hors cadre. Il a ouvert beaucoup de portes. Je pense aussi à l’artiste-performeur Michael Shaowanasai, avec qui j’ai coécrit et coréalisé The Adventures of Iron Pussy en 2003, une comédie musicale alternative dans laquelle il reprend son personnage d’Iron Pussy, un agent secret travesti en femme, déjà présent dans ses courts métrages. C’est un nanar, une parodie queer de film d’action, un hommage chanté aux séries B. Je rêve d’une utilisation différente du mot “queer”, qui irait plus loin qu’un militantisme. Le queer est une force de vie, une liberté. Il serait étroit de vouloir réduire ce terme à l’homosexualité ou à n’importe quel groupe de personnes appartenant à la communauté LGBTQ. Le queer est plus vaste que cela. Il désigne une humanité, une possibilité de beauté. »

Apichatpong Weerasethakul, , événement du 2 octobre au 6 janvier au Centre Pompidou 

Rétrospective Apichatpong Weerasethakul, du 2 octobre au 9 novembre, au Centre Pompidou

Portrait (c) Harit Srikhao, Bangkok CityCity Gallery