Valérie Donzelli est la rédactrice en chef du jour de TROISCOULEURS. Film, livre, BD : tout au long de la journée, la réalisatrice de La Guerre est déclarée et Notre dame vous donne ses conseils de déconfinement. On termine avec le film L’Arbre, le Maire et la Médiathèque d’Éric Rohmer, qui fait étonnamment écho à ce que traverse notre société contemporaine.
Le mot de Valérie Donzelli : « C’est un film qui date de 1993 et qui est hyper intelligent, passionnant à regarder aujourd’hui parce qu’il parle de la déglingue écologique, du détraquement de la biodiversité et de cette espèce de délire de capitalisme à outrance. Et puis ce qui est très agréable chez Rohmer, et encore plus pendant le confinement, c’est que ce n’est pas très speed. On se pose avec des gens qui discutent et on observe la nature. »
Julien Dechaumes (Pascal Greggory) est le maire de la petite commune de Saint-Juire. Ce socialiste néorural, épaulé par sa compagne Bérénice Beaurivage (Arielle Dombasle), tient à se faire remarquer de son parti et des écologistes en vue des prochaines élections législatives. Son projet ? Implanter dans son village une médiathèque à la pointe de la modernité. Cette ambition menace un arbre centenaire et provoque l’ire de l’instituteur de la commune (Fabrice Luchini). Par hasard, l’affaire remonte jusqu’à la journaliste Blandine Lenoir (Clémentine Amouroux) qui voit là l’occasion d’un article pour dépeindre les conflits de la nouvelle classe politique.
Le film de Rohmer est magnifiquement servi par ses comédiens fétiches : Pascal Greggory en maire hors-sol alors qu’il se revendique un fils de la terre est parfait, Arielle Dombasle en romancière mondaine qui s’extasie sur les salades l’est tout autant, tandis que Fabrice Luchini est génial en instituteur un peu réac qui cite La Fontaine et qui semble se jouer un peu de lui-même. Il n’y a sans doute que dans sa bouche que Rohmer pouvait oser placer une réplique telle que « il y a des types qui flinguent des mômes parce qu’ils ont un peu crié, moi c’est les architectes ».
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Décentralisation, cohabitation, écologie urbaine et rurale, subventions, médias : mine de rien, il fallait de l’audace pour faire un film sur de tels sujets. Avec son assurance et sa maîtrise tranquille, Eric Rohmer y parvient haut la main. Grâce à l’économie de moyens légendaire de ses tournages, il réussit un film extrêmement singulier et personnel, dont les enjeux nous parlent à tous mais dont on n’aurait jamais pensé qu’ils puissent faire un film.
On continue trop souvent de taxer l’œuvre de Rohmer d’ennuyeuse et de bavarde ; au contraire, tout son cinéma consiste à réenchanter notre quotidien le plus prosaïque sans chercher à le faire passer pour autre chose. Avec ses films, on redécouvre l’intérêt d’une discussion sur les parkings plantés de prunus rachitiques. Et quelle merveille d’entendre des petites filles de 10 ans débattre avec plus de talent que tant d’éditorialistes contemporains ! On constate une fois de plus que Rohmer, figure un peu hors de son époque, fait preuve en réalité d’une acuité de jugement remarquable. Comment ne pas penser à la période que nous vivons actuellement lorsqu’il professe que d’ici 50 ans, tous les citadins pourraient télétravailler et retourner vivre à la campagne ?
À voir sur UniversCiné pour 3,99€.
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