
Comment en êtes-vous venu à travailler avec les I.A., alors qu’habituellement vous utilisez une chambre photographique, autrement dit un matériel analogique plutôt ancien ?
En premier lieu, nous appartenons à une génération de photographes qui avons parfaitement intégré l’utilisation de l’ordinateur pour, par exemple, retoucher nos photos.
Ensuite, nous aimons beaucoup les gens qui travaillent dans les effets spéciaux, notamment numériques, et nous avions déjà amorcé des projets sur des photos entièrement imaginaires, que nous projetions de concevoir en images de synthèse.
Enfin, si nous cherchons à capter le réel, nous avons aussi, comme chez beaucoup de photographes, une aspiration à la fiction. Et l’I.A. est un outil qui imite suffisamment bien la réalité pour que l’on puisse en tirer quelque chose d’intéressant, ce que nous a confirmé les travaux de certains confrères, comme Eric Tabuchi [auteur du livre de photographies The Third Atlas, composé d’images générées par I.A., ndlr].
Comment avez-vous procédé pour acclimater l’I.A. à votre style ?
Nous avons déjà fait une liste de lieux que nous aimerions visiter si Paris était réellement en ruines. Ensuite, nous avons fait des recherches historiques et graphiques : par exemple, après La Commune, Paris était partiellement en ruines et des photographes avaient documenté l’état de la ville durant cette période. On s’est aussi plongé dans les œuvres du peintre Hubert Robert qui, au XVIIIe siècle, avait par exemple imaginé la Grande Galerie du Louvres en ruines.
Ensuite, nous voulions sur des bases réelles. Donc nous sommes repartis de nos images : nous faisions une sorte de maquette sur Photoshop, que l’on intégrait ensuite dans Midjourney. Le processus était parfois pénible. On dit qu’être photographe c’est choisir, mais dans le cas présent, il nous a fallu trier 50 000 images ! Nous étions presque comme des iconographes. Travailler à deux nous a aidé à faire des choix et à savoir quand nous arrêter.

Vous devez être conscient que l’outil que vous employez s’est certainement nourri de vos travaux…
Bien entendu et faire ce projet était aussi une façon de reprendre ce qui nous avait été volé ! L’I.A. est forcément effrayante, mais moins pour les photographes que pour, par exemple, les illustrateurs. Ce qui importe dans notre métier, c’est notre rapport au réel.
De plus, artistiquement parlant, notre horizon créatif s’est élargi grâce à l’I.A. Nous avons pu faire de la fiction, tout en explorant un pan historique de Paris. Ceci étant dit, nous aimons être sur le terrain. Et après avoir passé six mois sur un ordinateur, nous avons besoin de reprendre l’air. Mais il est très probable que dans le futur, nous poursuivions nos travaux avec l’I.A.

● « Les Ruines de Paris », édité par Albin Michel
● Exposition « Les Ruines de Paris » à la Galerie Fontana (Amsterdam) jusqu’au 3 mai