Le film culte de David Fincher, adapté du roman de Chuck Palahniuk, fête ses 20 ans. Les réalisateurs Jan Kounen et Rémi Bezançon nous confient à cette occasion l’influence, notamment comique, que ce mémorable pamphlet a exercée sur leur cinéma.
Quatrième long métrage de David Fincher, Fight Club divisa drastiquement la critique à sa sortie, le 15 octobre 1999 aux États-Unis et le 10 novembre de la même année en France. Mais cette histoire d’un employé de bureau dépressif (Edward Norton) qui rencontre son double fantasmé Tyler Durden (Brad Pitt) et crée un cercle de combats clandestins à la visée anarchiste séduisit d’emblée son lot de spectateurs. Parmi lesquels des cinéastes français. « C’était une surprise de voir un film aussi puissant, provocateur et extrême au sein d’un studio. Fight Club est conçu comme un ballet mental qui éclate les règles narratives et visuelles pour raconter le dysfonctionnement d’un personnage, c’était un ovni dans le système », se souvient Jan Kounen, auteur entre autres du western fantastique Blueberry. L’expérience secrète (2004), qui traite d’initiation au chamanisme et d’expériences hallucinogènes. « Fincher montre la violence quotidienne d’une société qui nous rend schizophrènes, il capte les rapports de pouvoir avec une radicalité punk et un vertigineux mélange des genres : on passe d’un humour très noir à des moments plus touchants. C’est une œuvre pleine de brio et de créativité. »
Rémi Bezançon, réalisateur du récent Le Mystère Henri Pick, fut tout autant impressionné. « J’ai eu un choc en découvrant Fight Club. Le film est drôle car Fincher n’est pas toujours tendre avec ses protagonistes ni en empathie avec eux, il les maltraite. La mise en scène était hyper moderne malgré le sujet casse-gueule. On avait l’impression de voir plusieurs films en même temps. » L’influence de cet objet unique, qui traite avec virtuosité de trouble identitaire et de manque affectif (le narrateur incarné par Edward Norton met ainsi beaucoup de temps à comprendre qu’il entretient en réalité une relation sentimentale avec Marla Singer, interprétée par Helena Bonham Carter) ne tarda pas à se faire sentir dans la comédie française des années 2000. « Quand je préparais Ma vie en l’air, qui est un film de potes, j’avais la voix off de Fight Club en tête. Elle nous parle comme à un ami et instaure une complicité naturelle. C’était pile ce que je recherchais. On sent qu’Edward Norton était tout près du micro au moment de l’enregistrement. »Le cinéaste, qui a aussi utilisé dans Nos futurs (2015) une reprise de Where Is My Mind (le titre des Pixies qui conclut Fight Club), assume entièrement cette inspiration filmique. « J’ai beaucoup regardé le DVD à une époque pour disséquer les idées de narration. J’aime également beaucoup la scène où le narrateur imagine un accident d’avion et j’adore le moment où on explique que la notice de sécurité des compagnies aériennes n’est que du flan. »
Jan Kounen (dont la comédie Mon Cousin, avec Vincent Lindon et François Damiens, sortira en avril 2020) confirme l’influence du film. « Parce que Fight Club existe et mêle le sombre pamphlet sur la société de consommation aux effets de décalages comiques, je me suis donné ces libertés-là dans 99 francs . Quand on fait des films, on cherche en général à s’éloigner d’une référence mais on trouve parfois dans un long métrage un parfum qu’on aime et sur lequel on s’appuie. Il y a dans ce Fincher l’incroyable générique à l’intérieur d’un cerveau, il y a les images subliminales, il y a les réunions de cancéreux qui se prennent dans les bras, il y a le twist… Mais c’est l’esprit du film qui me marque davantage que des plans précis. J’emmagasine un ressenti plutôt que d’analyser la mise en scène. Le plus important, au cinéma, c’est de savoir qu’on peut prendre des risques et s’autoriser à secouer le public. »
Damien Leblanc
Illustration : ANNA WANDA GOGUSEY