La vieille idée d’une éventuelle « mort du cinéma » est revenue cette année hanter le festival – avec la crise de la fréquentation après la pandémie, l’essor des plateformes, la concurrence des séries et des réseaux sociaux, le vieillissement du public, le cinéma est-il condamné ? Aujourd’hui, c’était dans la salle des conférences de presse du festival de Cannes qu’on dissertait, pendant 2h30, sur les perspectives de tout un secteur, tant dans les formes que dans l’économie.
Le réalisateur mexicain Guillermo Del Toro était présent tout au long de la conversation, tandis que Thierry Frémaux (Délégué Général du festival) et le journaliste Didier Allouch questionnaient Gaspar Noé, Claude Lelouch, Costa-Gavras, Matthieu Kassovitz, Robin Campillo, Nadav Lapid, Paolo Sorrentino, Michel Hazanavicius et Kleber Mendonça Filho. On a quelques réserves sur le dispositif – dommage de rester dans la succession de points de vue plutôt que dans le débat, dommage aussi qu’il n’y ait eu aucune femme parmi les cinéastes aujourd’hui (même si demain sont attendues Rebecca Zlotowski, Agnès Jaoui et Lynne Ramsay), dommage enfin que, dans un échange sur le futur du cinéma, on n’ait pas entendu quelques représentant.e.s de la nouvelle génération. Cela dit, il y a eu quelques moments drôles – Matthieu Kassovitz qui avoue être bourré, le Français Robin Campillo qui dit dédaigner les séries sauf les espagnoles avec des mecs torses nus – et la conférence a plutôt marqué par son optimisme.
Del Toro a ouvert le bal en rappelant qu’on aurait toujours besoin de se raconter des histoires. Le réalisateur a appelé à « être, rester sans peur » – et a plus tard ajouté que « l’adversité, c’est bon pour un film. » Evoquant la pandémie de Covid, Gaspar Noé a fait relativiser tout le monde en disant que pour lui, ça avait été un moment de redécouverte du cinéma, qui lui avait permis de prendre le temps de regarder deux classiques par jour.
La question de ce qu’allait devenir l’expérience en salle a beaucoup occupé la conversation. Gaspar Noé a parlé de la séance de Coupez ! de Michel Hazanavicius, en concédant que son plaisir n’aurait pas été le même s’il avait découvert le film dans une salle vide. Pour Matthieu Kassovitz, qu’on voie un film ou pas en salle, l’émotion n’est de toute façon plus la même – pour lui, un spectateur d’aujourd’hui ne peut plus être émerveillé comme pouvait l’être quelqu’un qui découvrait Le Retour du Jedi à sa sortie – notre regard se serait trop habitué aux effets spéciaux. Le cinéaste a quand même conclu : « Il faut un festival comme Cannes pour que les films restent magiques », avant de faire un selfie avec Del Toro.
Si les plateformes en ont pris pour leur grade, ce n’est pas pour ce qu’elles sont, ou pour leur manière de diffuser les films, mais pour leur formatage. Campillo s’est insurgé contre l’expression « arc fictionnel » apparue dans leur sillage, bien trop programmatique. Hazanavicius, lui, a brocardé la morale des plateformes, fondée sur des algorithmes. Face à ça, son espoir est que certains cinéastes parviennent à se faufiler pour imposer leurs récits.
Par rapport aux angoisses comme celle de la forme sérielle qui menacerait le cinéma, les cinéastes se sont montrés assez sereins. Guillermo Del Toro a rappelé la liberté de Twin Peaks 3 de David Lynch et Mark Frost, l’Italien Sorrentino celle de la première série de Marco Bellocchio, Esterno Notte, présentée cette année à Cannes Première, et l’Israélien Nadav Lapid a avancé la théorie que si La Maman et la Putain, qui est son film préféré, était réalisé aujourd’hui, il serait certainement diffusé en série. Au sujet de ce format sériel, le Brésilien Kleber Mendonça Filho s’est amusé de la manière dont il contaminait le mode de lecture des films, évoquant un tweet qui disait d’un de ses longs métrages : « Après 15 jours, j’ai enfin fini ce film. » Sur l’évolution de la façon dont on regarde les films, le Français Robin Campillo s’est lui aussi montré rassurant : « Si on regarde un Bresson sur un smartphone, il se passe toujours quelque chose. »
Enfin, les intervenants ont donné des clés pour que le cinéma reste bel et bien un art vivant. Ils se sont accordés sur le fait que tout se joue sur l’éducation à l’image et à l’histoire du cinéma, dont Costa-Gavras – qui est, rappelons-le, président de la Cinémathèque française – a regretté qu’elle ait trop peu d’importance en France. C’est selon lui ce qui amènera les jeunes générations à « savoir choisir. » Gaspar Noé, lui, s’est montré confiant sur cet accès des jeunes au patrimoine cinématographique mondial grâce à leur accès à une offre pléthorique – Noé a loué les « plateformes pirates » qui permettent de découvrir raretés et curiosités, ce qui a fait un peu tiquer Thierry Frémaux. Le cinéaste a alors opté pour l’expression « réseaux libres », mais on a bien compris que pour lui, l’avenir se jouait bien dans la marge.
Image : Festival de Cannes
Le Festival de Cannes se tient cette année du 17 au 28 mai 2022.