Le mercredi 15 mai à Cannes, l’ouverture de la 51ème Quinzaine des Réalisateurs a été marquée par la remise du Carrosse d’or à John Carpenter. Et par la conversation entre le maître de l’horreur et les cinéastes français Yann Gonzalez et Katell Quillévéré. Récap.
Après la projection en fin de matinée de The Thing (le chef d’œuvre horrifique de John Carpenter sorti en 1982), le cinéaste de 71 ans est monté sur scène devant un public enthousiaste pour entamer une conversation avec Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit) et Katell Quillévéré (Suzanne). Revenant sur la réception en deux temps du film (d’abord rejeté à sa sortie, même par les fans du réalisateur, il a été entièrement réhabilité depuis), John Carpenter a rappelé qu’il avait dû batailler pour obtenir le final cut. «J’ai appris à me battre pour imposer ma vision. Les producteurs de The Thing n’avaient pas perçu à la lecture du scénario que la fin était si sombre et ils ont voulu changer la séquence finale après le tournage. Mais la scène originale a finalement été conservée car leurs idées ne fonctionnaient pas. »
The Thing fut conçu comme un pur film de monstres qui fait le choix de montrer frontalement l’horrible apparence de la bête plutôt que de la suggérer. «Quand j’étais petit, j’adorais les films de monstres. Malheureusement on n’en voit plus tellement aujourd’hui, on voit surtout des films de super-héros. » Poussé à remonter le fil de son enfance, le réalisateur d’Halloween et de New York 1997 a expliqué sa conception de l’effroi. «La peur est une émotion universelle, on a tous commencé par avoir peur le jour de notre naissance. Le film qui m’a le plus effrayé est ainsi The Fly (La Mouche noire de Kurt Neumann). Je parle de la version de 1958, pas du film stupide de 1986.» Voilà pour la pique adressée à David Cronenberg.
Après avoir rendu hommage aux maîtres de l’horreur que sont pour lui George A. Romero, Tobe Hooper et Dario Argento, John Carpenter a aussi eu des mots doux pour Howard Hawks: «C’est de lui que me vient le goût des personnages de femmes fortes et libres.» Défenseur dans son cinéma des laissés-pour-compte, le réalisateur a confirmé la dimension politique de son œuvre, a confié qu’il gardait espoir quant à l’avenir du monde mais a précisé à quel point il était déprimé par la violence des guerres, notamment celle en Syrie.
Loin du cynisme qu’on lui prête parfois, John Carpenter a donc semblé en forme face à une salle acquise à sa cause. Le cinéaste a néanmoins rappelé qu’il n’allait plus voir de films en salles car trop nombreux sont les spectateurs qui parlent et se servent de leur téléphone en pleine séance. «Cela me rend dingue et j’ai peur de ma possible réaction.» Se concentrant désormais sur la pratique de la musique, sur le visionnage du basket-ball et sur les jeux vidéo («Un jeu comme Dead Space 3 m’a littéralement terrorisé avec sa neige et ses monstres »), le réalisateur affirme ne pas avoir de projet cinématographique en vue. Son dernier film sorti en France, Ghosts of Mars, remonte en effet à 2001. «Mais je ne suis pas opposé à l’adaptation de mes films en jeux vidéo, en séries ou pour des plateformes de streaming. Tant qu’on me paie!».
John Carpenter a ensuite fendu la foule pour signer des autographes. C’est le moment qu’a choisi Dario Argento, assis au premier rang durant toute la conversation, pour se signaler à lui et le rejoindre au milieu de spectateurs ébahis. Les deux maîtres du cinéma d’horreur se sont alors lentement dirigés vers la sortie du Théâtre Croisette avant de disparaître dans le soleil cannois.
DAMIEN LEBLANC