« Le Ravissement », le premier long métrage durassien d’Iris Kaltenbäck

[CRITIQUE] Belle trouvaille dénichée à la Semaine de la critique de Cannes cette année, ce premier long de la prometteuse Iris Kaltenbäck, porté par une Hafsia Herzi ultrasensible, épate par l’intelligence de sa mise en scène.


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Tout part d’une cassure. Alors qu’elle vient de se faire larguer, Lydia (Hafsia Herzi, bouleversante), une sage-femme dévouée à son métier, apprend que Salomé (Nina Meurisse), sa meilleure amie, est enceinte. Tout en s’investissant dans la grossesse de cette dernière, elle vit une histoire d’un soir avec Milos (Alexis Manenti, étonnant dans ce rôle), qui ne veut pas la revoir. Deuxième cassure, avant disjonction : quand les deux amants se recroisent par hasard à l’hôpital, alors qu’elle porte le bébé tout juste né de Salomé dans ses bras, Lydia fait un geste incompréhensible, irréversible : suggérer à Milos que cet enfant est le sien…

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Le titre du premier long métrage d’Iris Kaltenbäck, d’une beauté simple, nous a tout de suite évoqué un des romans phares de Marguerite Duras, Le Ravissement de Lol V. Stein, paru en 1964. Première similitude troublante : ce narrateur masculin, qui tente de résoudre l’énigme que lui pose une femme, qu’il aime mais qu’il ne comprend pas, en remontant le fil des événements.

On retrouve comme dans la littérature de Duras cette faculté à créer une atmosphère suspendue, ici faite de fondus, de courses effrénées, de trajets en bus erratiques dans la capitale. Comme pour nous faire sentir comment le personnage de Lydia se dérobe à l’image, disparaît (aussi bien littéralement que métaphoriquement) sous le poids des injonctions imposées par la vie moderne – extrêmement bien pointées par le film, dans son ensemble. La tragédie de Lydia, c’est que le réel la tue à petit feu, et que le mensonge la ramène à la vie, lui donne une incarnation.

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En résulte, dans la deuxième partie du récit, un mouvement de libération, d’apaisement, qui s’ouvre à mesure que l’étau du mensonge se resserre autour de l’héroïne. Comme dans tout grand récit de double vie, ce sont les manquements du réel, sa cruauté aussi, qui transparaissent derrière le besoin de fictionnaliser sa propre vie. Et c’est ce moment de triche, si éphémère soit-il, qui en donne un goût sucré – avant qu’il ne vire à l’amer.

Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, Diaphana (1 h 37), sortie le 11 octobre

Images : (c) Mact Productions – Marianne Productions