Un désert, un cactus, des néons et un grand hôtel. C’est dans un cadre à la fois magnétique et complètement cliché que s’ouvre L’Autre Laurens, signé Claude Schmitz. Un réalisateur belge qu’on commence à bien connaître maintenant – on avait notamment adoré son court Rien sauf l’été, puis son moyen métrage, Braquer Poitiers, qui brouillaient les pistes entre documentaire et fiction.
Il imagine ici l’histoire d’une jeune femme, sorte de princesse moderne et badass – comme une fusion entre les héroïnes de contes Disney et de Buffy – qui, à la mort de son père, contacte son oncle, frère jumeau de ce dernier (les deux personnages étant incarnés avec brio par Olivier Rabourdin), et détective privé spécialisé dans les adultères.
En conflit, les deux frangins ont pris des trajectoires radicalement différentes : l’un – François, le défunt – est un personnage exubérant qui a fait fortune et s’est installé dans le sud de la France ; l’autre – Gabriel, le vivant – s’est terré comme un misérable en Belgique. C’est le début d’une enquête chaotique, où vont se mêler une bande de Hell’s Angels à l’accent méridional, des flics à l’ouest et corrompus à la recherche d’un gitan, une femme fatale qui s’immisce à pas de chats dans l’affaire…
Dans une atmosphère presque lunaire, contrebalancée par une mise en scène ultra précise et stylisée, L’Autre Laurens fonce avec audace vers des archétypes du film policier pour mieux les faire éclater en vol. Qui a tué qui ? Quand ? Comment ? Au fond, ce n’est pas tellement ça l’important. Ce qu’on aime dans le film, c’est sa manière de nous choper au tournant pour nous emmener dans des coins insoupçonnés, de réinvestir des lieux communs pour les détourner – l’héritage légué par le personnage de François comme l’héritage légué par le genre policier, il faut ici le dilapider avec plaisir et une forme d’effronterie. On aurait envie de parler d’ovni, mais ce serait un peu trop cliché.
TROIS QUESTIONS A CLAUDE SCHMITZ
L’Autre Laurens est votre première pure fiction. Est-ce que vous aviez envie de vous lancer un nouveau défi ?
Oui, c’est une vraie fiction, plus construite, complexe, ambitieuse, mais je n’ai pas l’impression d’avoir basculé dans tout autre chose. Je rejoins en fait des problématiques que j’explorais déjà au théâtre ou au cinéma. Là, j’avais envie de remettre en question la notion même de récit au cinéma.
Dans ce film de gangsters trouble, il y a beaucoup de références au cinéma américain…
Je voulais faire le point sur mon héritage. Ado, j’étais dans un internat pour garçons, et on avait des cassettes de films très années 1980. En fait, j’ai grandi avec deux formes de cinéma : les gros films à l’américaine et le cinéma d’auteur européen. J’étais un peu dans une forme de schizophrénie, et c’est ce que j’ai voulu reproduire dans le film.
On sent une touche d’ironie dans les décors et l’esthétique, un côté volontairement fake ou too much…
Oui, je voulais jouer avec ça, avoir des boîtes de nuit espagnoles un peu datées, des lieux bizarres, des lumières très bleues… Un truc très artificiel, plastique, et en même temps travaillé. Le fait d’avoir eu plus de moyens financiers m’a permis de réaliser plus d’idées, comme la scène de la fusillade ou celle de l’hélicoptère. Il y a un côté baroque, dans un sens littéral. Mais il fallait trouver le bon équilibre.
L’Autre Laurens de Claude Schmitz, Arizona (1 h 57), sortie le 4 octobre
Image (c) Wrong Men/Cheval deux trois