Tout est là : le lit douillet sur une estrade, le tapis blanc à poils longs, la reproduction agrandie du Midas et Bacchus de Poussin placardée au mur, la machine à écrire au rythme quasi menaçant, le téléphone gris à la sonnerie stridente, l’alcool, les larmes, le drame. C’est presque le même appartement que dans le film de 1972, sauf que la démiurge et torturée Petra est devenue Peter (excellent Denis Ménochet), que Marlene, l’assistante/esclave muette, est devenue Karl (Stefan Crepon, hilarant de mimétisme avec l’interprétation mythique d’Irm Hermann), et que Karin, la jeune modèle objet de désir, est devenue Amir (Khalil Gharbia).
François Ozon relit le classique de Fassbinder au masculin, ce qui avait tout pour faire peur sur le papier. À l’arrivée, la transposition fonctionne, car elle sert, en fait, à faire un portrait de Fassbinder dans ses innombrables facettes, aimables et malaimables. À Cologne, Peter von Kant, au seuil de ses 40 ans, est un cinéaste reconnu mais en pleine crise après une rupture. Lors de la visite de son actrice et amie Sidonie (Isabelle Adjani, dans un rôle de diva taillé pour elle), il fait la rencontre d’une nouvelle connaissance de celle-ci, le jeune et magnétique Amir, qui rêve de se faire une situation. Le lendemain soir, après une opération séduction à base de dîner aux chandelles et d’un malaisant casting filmé, Amir accepte d’emménager chez Peter.
On sent tout de suite davantage l’écart d’âge et de milieu entre les deux amants que dans la version originale (Hanna Schygulla et Margit Carstensen, les interprètes du film de Fassbinder, n’ont d’ailleurs en réalité que trois ans d’écart). Cette étude des rapports de pouvoir dans un couple évoque un autre chef d’œuvre de Fassbinder, Tous les autres s’appellent Ali, dans lequel une veuve allemande entretenait une relation passionnelle avec un immigré marocain bien plus jeune qu’elle (joué par El Hedi ben Salem, l’un des amants de Fassbinder et dont Ozon donne le patronyme au personnage d’Amir).
En entrelaçant ainsi avec panache vie réelle, films et vie fantasmée, François Ozon impulse une énergie nouvelle à ce huis-clos à l’origine très versé dans la mélancolie. Plus ramassé, moins littéraire et plus ostensiblement drôle, le film ne délaisse pourtant pas la dimension mélodramatique de son matériau de base. Un terreau que viennent travailler les présences habitées de deux reines : Isabelle Adjani et Hanna Schygulla herself, qui revient hanter cette histoire en tant que mère de Peter/Fassbinder, évidemment.
Image (c) Diaphana Distribution