« Nos Soleils » de Carla Simon : l’adieu à la terre

La réalisatrice du remarqué « Été 93 » (Prix du meilleur premier film à la Berlinale en 2017), Carla Simón, signe un deuxième long étonnant de maturité sur une famille de paysans espagnols qui doit dire adieu à ses vergers pour laisser place à des panneaux solaires. Entre réalisme et onirisme, « Nos Soleils », Ours d’or à la Berlinale cette année, nous emporte dans la torpeur de ce dernier été en suspension.


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Ils sont beaucoup, entre le doux grand-père, ses sœurs, son fils qui se fait un sang d’encre pour leurs plantations, l’épouse, les sœurs et le beau-frère de celui-ci et la ribambelle d’enfants et d’ados ; tous s’occupent à leur manière de l’exploitation familiale. Une telle meute qu’on met un certain temps à distinguer, qui est qui et les liens de filiation – jusqu’à abdiquer, car tout cela n’a pas vraiment d’importance. Ce qui semble intéresser Carla Simón, c’est l’idée du collectif, de la lutte, de l’expérience et des souvenirs partagés comme un seul corps.

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On pense beaucoup aux  (2015) et à sa famille produisant du miel en autarcie dans une ferme italienne. Alcarràs décrit, avec la même précision documentaire transfigurée par une photographie solaire, le même genre de révolte pour l’indépendance et la qualité d’une vie simple contre les saillies du capitalisme. Avec les siens, à l’abri des pêchers, le temps semble s’écouler tranquillement, rendant l’idée même de menace presque impensable. Pour les enfants les plus jeunes, c’est le jardin d’Eden, puisqu’ils peuvent jouer comme des fous dans tous les recoins de la parcelle ou encore goûter les plaisirs indicibles de la pastèque chauffée au soleil ou du jus de raisin fraîchement pressé.

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Le tour de force de la cinéaste est de forger une dramaturgie à l’image de ce flux très organique : sans grands retournements de situation, sans pics d’action ou de drame, mais sans pour autant délaisser le moindre enjeu. Les grèves de paysans pour se faire payer décemment leurs récoltes face aux cassages de prix opérés par la grande distribution, la sourde rébellion d’un fils incompris et humilié par son père, le ras-le-bol d’une fille et de sa mère face à la toute-puissance de cette même figure paternelle…

Dans Alcarràs, la révolte est partout mais ne cède jamais à la simplification. Du haut de ses 36 ans, Carla Simón a déjà saisi l’immense intérêt de travailler sur la dimension sensorielle plutôt que sur une écriture appuyée pour nous happer dans son univers atemporel et nous faire subtilement adhérer à ses combats, eux, cruellement d’actualité.

Alcarràs de Carla Simon, Avalan, 2h, sortie le 18 janvier

Image (c) Avalon Distribución Audiovisual