Vu à la Mostra de Venise 2024 : « The Brutalist » de Brady Corbet

[CRITIQUE] Jamais distribué en France, l’acteur-réalisateur Brady Corbet pourrait bien prendre la lumière avec ce troisième film aux allures de fresque classique. Sur plus de trois heures, il y raconte le trouble destin d’un architecte réchappé des camps nazis, incarné par Adrien Brody.


Plus de vingt ans après Le Pianiste (2002), Adrien Brody revient au premier plan d’un film qui dialogue avec son succès passé. À ceci près que l’enfer génocidaire, dans The Brutalist, n’est plus qu’un hors-champ ; un visage où subsistent encore tous les traumatismes. À la Hongrie natale de László Toth (Adrien Brody) se substitue déjà la Statue de la Liberté et ses promesses de gloire. Après le totalitarisme de L’Enfance d’un chef (2015) puis l’empire du spectacle de Vox Lux (2018), inédits en France, Brady Corbet s’empare toujours d’un récit comme d’une mythologie à décortiquer ; c’est aussi ce qu’on pouvait reprocher à ses films, ambitieux pour les uns, pachydermiques pour les autres. Tâchons de lui reconnaître une vraie maturité : de tonitruant, The Brutalist n’a que le titre. Non pas que László Toth soit une brute, mais un architecte affilié au brutalisme ; si tant est qu’on lui laisse exercer son métier, lui dont le diplôme n’a aucune valeur en Pennsylvanie.

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On se souvient d’un autre László Toth, réel cette fois, géologue que la délégitimation sociale après avoir émigré en Australie aura rendu fou au point qu’il vandalise la Pietà de Michel-Ange en 1972. Et le film de rendre hommage à ces méprisés du rêve américain, à travers la relation complexe entre l’architecte déchu et un grand industriel (excellent Guy Pearce) qui voudrait jouer les pygmalions. Il se met en tête de sauver László, lui commande un bâtiment excentrique ; mais n’est-ce pas encore la marque du plus vil mépris ? Pour y répondre, le cinéaste s’autorise un temps – plus de 3h30 – et une amplitude de plus en plus rares.

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Un temps qui n’est pas seulement celui du film, mais de ce qu’on y filme ; à savoir l’édification de ce fameux bâtiment comme la lente dérive d’une relation de pouvoir. Avec au centre l’architecture brutaliste importée du Corbusier, point névralgique, si ce n’est pathologique du récit. C’est dire que la construction imposée à László prend vite des proportions surréalistes, condamnant l’architecte comme on a condamné Sisyphe. Un châtiment sans doute pas étranger à Brady Corbet, cinéaste dont l’obstination millimétrique rappelle par endroits le There Will Be Blood (2007) de Paul Thomas Anderson.