On pourrait croire que l’amour n’a plus de secret pour Emmanuel Mouret, si l’on s’en tenait à une filmographie entièrement dédiée, voire dévouée à ce sentiment. Pourtant, le cinéaste écrit moins pour en « percer » le mystère que pour tourner autour. En cerner difficilement les contours, sa forme étant purement immatérielle. L’héroïne Joan (sublime India Hair) en fait les frais : voilà qu’elle n’aime plus son compagnon, Victor (Vincent Macaigne), sans même savoir pourquoi. Il n’a pourtant rien fait de mal, mais c’est comme ça ; l’amour circule comme le vent tourne.
Et le cinéaste de circuler avec, au sens presque littéral. En clin d’œil à Chronique d’une liaison passagère (2022), où il filmait les lieux de l’action vidés de leurs personnages pour signifier la mort d’un amour, Mouret inaugure Trois amies par les vues lyonnaises où déambuleront plus tard les personnages. Aussi immatériel soit-il, l’amour y est donc bel et bien rattaché à des lieux. Autant de paysages qu’il s’agira d’explorer, qu’il faudra désormais remplir, c’est tout l’art du cinéma chez Mouret, voire du cinéma tout court. Écrits sur un tempo musical, ses dialogues ruissellent au gré de plans-séquences virtuoses et autres acrobaties.
On y parle évidemment d’amour, de mensonge, de chagrin selon les destinées sentimentales partagées par Joan, Alice (Camille Cottin), puis Rebecca, campée par la lumineuse Sara Forestier, qu’on se réjouit de revoir sur grand écran et qu’on n’attendait pas chez Mouret. Mais c’est bien le mouvement qui l’emporte sur les mots, à tel point qu’on croirait danser avec les personnages – vous avez dit marivaudage ? De ce monde étrange où chacun se court après, Emmanuel Mouret se fait donc l’architecte facétieux. En témoignent les innombrables jeux de miroirs et raccourcis féeriques empruntés par le récit. À tel point qu’on s’y perdrait comme dans un labyrinthe, avec les larmes de Joan et le fantôme d’un amour passé pour seuls guides.
Trois amies d’Emmanuel Mouret, sortie le 6 novembre, Pyramide (1 h 57)