Yann Gonzalez et Oliver Sim : « ‘Hideous’, c’est une lettre d’amour aux petits garçons gay qu’on a été »

Présenté à la Semaine de la critique à Cannes, ce film court envoûtant réalisé par Yann Gonzalez ( « Un Couteau dans le cœur ») en collaboration avec le musicien Oliver Sim (The XX), qui sort son premier album solo ce mois-ci, est disponible à partir du 8 septembre sur MUBI.


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Les deux artistes ont accouché d’un monstre sublime, Hideous, bijou d’horreur camp où Oliver Sim joue un chanteur qui se mue en bête pustuleuse sur un plateau télé cauchemardesque. Manière pour lui de se livrer de façon bouleversante sur grandir en étant gay et en se sentant freak, mais aussi sur sa séropositivité. Alors que leur court métrage musical a ensorcelé la Semaine de la Critique, on a parlé avec eux d’icônes queer, de monstres sexy et de Chantal Goya.

Le clip « HIDEOUS » sera disponible en exclusivité sur MUBI à partir du 8 septembre.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Yann Gonzalez : C’était en mars 2020, en pleine pandémie, au début du confinement. J’ai reçu un mail d’Oliver me disant qu’il aimait Un Couteau dans le cœur. C’était un moment où il avait envie de correspondre avec d’autres artistes, surtout des artistes gays. On a commencé à s’écrire, un peu comme des correspondants. On échangeait de la musique, des images, on parlait de nos goûts en fait. Le projet est venu six mois plus tard, en septembre 2020. Il m’a parlé d’une, deux, trois chansons qu’il voulait mettre en images. C’est là que j’ai commencé à réfléchir à Hideous.

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Sur quels éléments de la culture queer avez-vous connecté ? De quels films vous avez parlé ?

YG : On a beaucoup parlé de littérature, de musique, d’art en général, mais toujours relié à la culture queer. Oliver le fait de manière très naturelle depuis presque toujours tandis que pour moi, c’est venu de manière très crescendo dans ma vie. J’ai d’abord grandi dans une culture très hétéro, avec des amis plutôt hétéros. Plus ça va, plus j’ai l’impression de me nourrir exclusivement de culture queer. J’ai besoin d’un regard queer, d’une grammaire queer, pour me sentir impliqué ou ému. J’ai de plus en plus de mal à lire des auteurs hétérosexuels, à voir des films hétéros, évidemment à quelques exceptions près. La musique c’est différent, parce que pour moi elle est transgenre, c’est pour ça que c’est le médium qui me parle le plus. 

On a beaucoup parlé de films d’horreur parce qu’on a grandi avec ça, que c’est une influence très profonde sur nous. Le premier film dont on a parlé de manière évidente, c’était Carrie de Brian De Palma, il y a un clin d’œil assez littéral dans le film. Pour nous Carrie, c’est un personnage qui représente la fragilité, la différence bafouée. La manière dont elle prend revanche sur cette différence pour Oliver et moi c’est quelque chose de bouleversant, qui a vraiment guidé les premières émotions du film.

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Hideous joue sur l’horrifique mais c’est aussi un moyen métrage très émouvant sur le fait de grandir en étant queer, de se sentir freak. Comment avez-vous approché ce matériau autobiographique ?

Oliver Sim : Au début de l’écriture, je ne savais pas ce que ça allait donner. Je ne suis pas entré dans ce disque avec des thèmes précis. Mais il est vite devenu très clair que j’écrivais sur la honte, la masculinité, sur mon enfance. Je me suis rendu compte que la meilleure façon de se débarrasser de la honte est de la partager. Dans mon passé, j’ai utilisé la fierté comme une forme d’empowerment – c’est un outil d’affirmation inestimable mais ça ne marche pas toujours. J’ai donc regardé ce qui me causait le plus de honte, ce qui me faisait sentir le plus faible ou le plus laid. J’ai essayé de ne pas m’y attarder, de ne pas composer une musique qui soit sombre ou torturée, mais juste de m’en libérer. Une grande partie de ces sentiments sont liés à mon enfance. À cette période, remarquant que ma voix changeait, je m’efforçais de descendre deux octaves plus bas, comme pour écraser tout ce qu’il y avait de queer en elle : c’est une réaction tellement enfantine. Je pense donc qu’au début, je voulais m’adresser à mon moi de dix ans, et que ce film, c’est comme une lettre d’amour aux petits garçons gays qu’on a été.

Yann Gonzalez : Je crois qu’il y a quelque chose de presque universel, en tout cas en Europe, sur la manière dont on grandit en tant qu’enfants gays. On allait chercher nos héros et héroïnes queer à la télévision, en tout cas nous qui grandissions dans les années 1980 et 1990. On comprenait notre différence à travers les médias, et tout à coup un déclic se produisait grâce à des icônes. Je pense évidemment aux clips de Mylène Farmer réalisés par Laurent Boutonnat qui sont l’acmé du camp et de la culture gay des années 1980, ou aux clips de Jimmy Somerville. Smalltown Boy, j’ai dû le voir à 8 ou 9 ans. Je ne comprenais pas tout mais je sentais qu’il y avait quelque chose d’essentiel, de courageux et de militant qui se jouait là-dedans. Aujourd’hui, quand je revois ce clip, non seulement l’émotion est intacte, mais je me dis que c’était inouï de faire ça à l’époque. Le courage politique de Somerville, de faire ce clip en pleine montée du sida, à un moment où l’homosexualité était attaquée, vue comme la pire des choses – par rapport à la maladie et à l’exclusion – c’est extraordinaire. Avoir Jimmy Somerville sur le plateau en tant qu’icône politique gay, c’est une des plus grandes émotions de ma vie [le chanteur apparaît de manière flamboyante à la fin du film, ndlr.]

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Jimmy Somerville jouait déjà un ange dans des films queer comme Looking For Langston d’Isaac Julien ou Orlando de Sally Potter. Ces longs métrages ont-ils été des références pour Hideous ?

YG : Oui, Orlando est un film très important pour moi. J’ai dû le voir quand j’avais 13-14 ans, un an ou deux après qu’il est sorti. Je me souviens de l’apparition flamboyante de Jimmy Somerville et je pense que ça nourri son personnage. Le moment où il chante dans la track d’Oliver, c’est un moment de résilience, d’apaisement, de consolation.

OS : Je pense que Jimmy est vraiment un ange, c’était logique qu’il en devienne un couvert de paillettes pour ce film. Depuis quatre décennies, il est une voix si puissante pour les personnes vivant avec le VIH et dans la lutte contre le sida, et plus généralement pour les personnes queer. Il a aussi la voix d’un ange, c’est un weirdo qui donne beaucoup d’amour, et c’est pour tout ça que je l’ai contacté. C’était bien avant qu’on ait l’idée du film, car je voulais tout simplement faire de nouvelles rencontres. Avec The XX, je forme un groupe avec mes deux meilleurs amis. Je me sens tellement bien et en sécurité avec eux que, longtemps, je n’ai pas cherché à connaître d’autres personnes. C’était une vraie mission de me faire de nouveaux amis. Je voulais nouer des relations avec des artistes queer, en particulier avec des hommes gays. J’ai trouvé tellement de paix dans ce mouvement de tendre la main à toutes les queens qui m’ont précédé, comme Jimmy ou Elton John. J’ai appris à écouter leurs histoires et à les transmettre.

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YG : Ce dont je suis très fier avec ce projet, c’est qu’il implique différentes générations de personnes queer, moi, Oliver, ou encore Bimini, qui est une icône très récente [artiste et drag queen apparue notamment dans RuPaul Drag’s Race UK, et qui joue ici la « Queen of Doom », ndlr.] J’ai eu une jubilation à composer le casting de ce film, je pense que c’est là où j’ai pris le plus de plaisir. C’est un peu comme dans mes longs métrages : je prends des gens venant d’endroits hyper différents pour recomposer une famille étrange et singulière. Ici, un acteur du film d’Almodóvar Douleur et Gloire [Cesar Vicente, ndlr.], Kate Moran avec qui j’ai énormément travaillé.

Oliver, qu’est-ce qui vous plaît dans le style de Yann ?

OS : Je me suis rendu compte que ma musique était sincère, honnête et très dramatique. Les films de Yann sont eux aussi sincères, ils me bouleversent, m’apprennent des choses, mais ils aussi absurdes, fantastiques, hilarants, sexy, dark…C’est tout ça, ça m’emporte dans une aventure, un trajet. Les scènes de meurtres étaient géniales à faire. J’adore leur mélange de violence camp et d’humour. Tuer Jamie XX à l’écran c’était mon rêve depuis longtemps ! Il y a aussi un plan en contre-plongée sur le visage de Jimmy Somerville, qui apparaît glorieux et pailleté. C’est une image qui m’a vraiment embarqué.

YG : Pour moi, il y a aussi ce mélange de tons dans les chansons d’Oliver. C’est pour ça qu’on s’est trouvés si facilement. J’avais déjà presque un scénario parce que les trois chansons du film sont comme des dialogues. J’ai compris après coup qu’Hideous était une petite comédie musicale, pas seulement trois clips alignés. Les chansons font partie de la narration.

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Vous avez écrit le script ensemble ?

OS : Je me souviens de la toute première version du scénario. Je l’ai reçue juste avant Noël en 2020, c’était le meilleur cadeau tellement c’était tout ce dont je voulais. Yann et moi on a beaucoup passé de temps ensemble à l’écriture, donc on avait on avait une bonne entente, on partageait les mêmes goûts et centres d’intérêts. Je suis arrivé devant Yann et je lui ai dit : « Je veux être un monstre. » L’album parle beaucoup de choses qui me sont arrivées et qui m’ont rendu beau, glamour mais en même temps monstrueux.

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Dans le film Oliver, vous jouez à la fois le fantôme, l’artiste, et le monstre. Quels aspects de votre personnalité reflètent ces personnages ?

OS : L’artiste, ce serait celui qui me donne confiance. Comme un masque qui dit « Je suis un homme sûr de moi. » Il apparaît dans la chanson où je m’exprime avec le moins d’assurance. Le fantôme correspondrait plus à un sentiment d’anxiété, de doute. Quant au monstre, bien qu’il soit fait de prothèses, c’est peut-être celui dans lequel je me projette de la manière la plus honnête. Il ne représente pas forcément une violence, il est aussi vulnérable, émotif, triste et par moments il peut être très drôle. Je me suis toujours identifié aux monstres, parce qu’il représente les outsiders. Je n’avais pas ce lien avec les héros. D’autres personnages avec lesquels je me sens connecté, ce sont les final girls, ces femmes fortes, très féminines, énervées, en colère. Toute mon enfance, j’ai essayé de digger les moments queers comme ça, où je pouvais.

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Comment avez-vous imaginé le look de ce monstre ?

YG : Au départ, le monstre était un loup garou. Mais Oliver voulait un monstre unique, alors on est partis sur cette idée de monstre étrange, vert, qu’on a créé de toutes pièces même si on sent les influences de L’Étrange créature du Lac noir, de Freddy Krueger, de The Toxic Avenger. Il y a une mémoire cinéphile mais on voulait un monstre unique. On a beaucoup travaillé là-dessus avec Oliver, et Alain Garcia qui était mon collaborateur artistique sur le projet : on a dessiné des monstres. Il y a beaucoup l’influence de Charles Burns et de sa BD Black Hole, avec ses monstres un peu pustuleux. Il y a une nature comic book chez ce monstre, qu’on voulait iconique et fantastique. On a collaboré avec une super boîte d’effets spéciaux, 13 Finger FX, qui travaille sur la plupart des films d’horreur en Angleterre, et avec un mec qui s’appelle Dan Martin. Dès que je l’ai rencontré, j’ai su qu’on était au bon endroit parce qu’il avait une réplique du masque de Toxic Avenger dans son atelier.

Vous rendez l’atmosphère du plateaux télé à la fois rêveuse et creepy. D’où vous est venue cette inspiration ?

YG : C’est un mélange de culture anglaise, américaine et française. Dans mes références visuelles, il y avait des vidéos de Kate Bush, de Tori Amos, des moments iconiques de late night TV shows américains ou anglais, même une référence à L’École des fans. Dans les couleurs un peu pastel et enfantine du TV show qu’on a créé, il y a ma mémoire d’enfant, celle d’Oliver.

OS : Nos références télé sont probablement un peu différentes, parce qu’on ne vient pas du même pays, et qu’on a 12 ans d’écart. Moi, j’ai beaucoup pensé à Graham Norton, qui animait un late night un peu méchant, avec beaucoup de culs et de seins. Je me souviens regarder ça dans le salon familial, une main sur la télécommande, prêt à éteindre la télé au cas où quelqu’un rentrerait dans la pièce. Une fois, j’avais onze ans, et j’ai regardé cette émission avec ma belle-mère. Elle devait avoir senti que j’étais gay, alors que je n’en avais même pas conscience. Elle m’a dit quelque chose comme « Tu sais que Graham est gay ? Qu’il a des relations avec des hommes ? » et j’ai répondu « Oh je ne sais pas de quoi tu parles. » Elle a poursuivi : « Tu sais, c’est ok. » J’ai pensé « C’est cool pour Graham. » Esthétiquement, le show télé du film ne ressemble à rien de connu, mais c’est comme si on essayait de se connecter à cette émotion : moi découvrant pour la première fois une personne ouvertement gay dans une émission TV mainstream.

YG : Tout est guidé par les émotions qu’on a pu ressentir enfant ou adolescent, sans chercher de cohérence esthétique.

Dans Hideous, un enfant vous regarde à la télé Oliver, et il se reconnaît en vous. Quand vous étiez enfant, à qui vous vous identifiez ?

OS : Il y a un moment qui me touche particulièrement, c’est celui où j’embrasse l’animateur. Comme je l’ai déjà dit, j’ai passé une partie de mon enfance à la recherche de moments gays. Dans le film, l’enfant tombe sur ce moment ouvertement gay, il est un peu gêné mais en même temps il sourit. Le petit moi aurait vraiment apprécié un moment comme ça. Pourtant à dix ans, je savais que j’étais différent, mais je ne savais que j’étais gay, que j’allais vivre une vie gay et que j’en serai fier.

YG : Comme beaucoup d’enfants des années 1980, j’étais obsédé par Chantal Goya. Elle avait un imaginaire à la fois naïf, libre, très camp. Vraiment, elle me rendait folle. Le jour où elle a un peu pété les plombs dans une émission de Patrick Sabatier, ça m’a rendu malade, comme si tout à coup mon idole était violentée. C’était un moment très dramatique dans ma vie. L’autre moment auquel je pense… C’est marrant parce que c’est une série extrêmement hétéro, V, une série sur des extraterrestres, qui passait à la télé dans les années 1980. C’étaient les premiers moments de nudité que je voyais. Mes parents me cachaient les yeux quand il y avait une image un peu sexuelle, un peu nue. Je me souviens de cette actrice, Faye Grant, qui apparaissait en collants dans une espèce de tube. C’était hyper troublant, en même temps excitant, de sentir quelque chose d’érotique à la télévision et de ne pas savoir comment réagir devant mes parents, comme si j’étais pris en flagrant délit de voyeurisme. C’est peut-être pour ça que le voyeurisme est si important dans mes films.

Le monstre erre dans une zone de cruising. Les spots de drague, c’est un motif récurrent de votre cinéma, Yann.

YG : Je suis obsédé par les espaces de cruising, car ce sont des endroits chargés de désir, et c’est la question qui me travaille le plus. J’essaye à chaque fois de réinventer des espaces de désir différents, avec de nouvelles couleurs, de nouveaux personnages, de nouveaux mouvements de caméra. Il faut à chaque fois un défi, pour que le désir éclate de manière singulière. Là, c’est le « Cruising Star », comme une étoile de cruising avec plusieurs branches, chacune renvoyant à une saynète différente. Une saynète avec quelqu’un qui mate un porno, une autre plus SM, une plus tendre avec deux filles qui s’embrassent. J’aimais bien l’idée qu’Oliver, déambulant dans cet espace, croise plusieurs histoires.

Oliver, aimeriez-vous continuer en tant qu’acteur ?

OS : Ce film, je le vois plus comme une occasion unique de me présenter, au moment où je sors un premier album solo très personnel. Yann a créé un espace si chaleureux, sensible, et amusant, il m’a donné un pouvoir, une confiance. Alors je répondrais plutôt non. Je ne pense pas que je retrouverai une telle opportunité. Si Yann me le demande, je le ferai, mais sinon je reste un musicien.

Portrait (c) Quentin Grosset

Images (c) FRIEND