Vicky Krieps : « J’aime le désordre, j’aime trouver ma place dans le mouvement, m’adapter »

On a rencontré l’actrice luxembourgeoise de 37 ans, révélée au grand public par « Phantom Thread » de Paul Thomas Anderson (2018), qui même si elle en doute a tout d’une star.


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Qu’est-ce que vous retenez de votre premier festival de Cannes ?

C’était étrange. Fatiguant, évidemment. Mais surtout étrange. Plein d’émotions contraires. La célébrité, être reconnue, ce n’est pas pour ça que je fais ce métier. Être mitraillée de flash par les photographes sur le tapis rouge, c’est bizarre quand tu n’as pas l’habitude. Je n’aime pas être pas observée. En tout cas, pas quand je ne joue pas un rôle. Là, sur le tapis, les gens devaient se dire : « C’est qui cette fille ? Qu’est-ce qu’elle porte ? Est-ce qu’elle sourit assez ? Est-ce que c’est une star ? »

A Cannes, tout est regard. Une fois que tu dépasses ça, que t’arrives à t’en foutre, ça devient marrant. Surtout que pour la montée des marche du film de Mia Hansen Love, il y avait mes enfants sur un balcon en face qui me regardaient. J’ai pu leur faire coucou, c’était beau d’avoir soudain cette connexion si intime au beau milieu de cet endroit si froid, ça m’a rassurée.

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Et l’accueil dans les salles ?

Oh ça, c’était super. Les « marches » de Cannes, ce n’est pas le cinéma. Par contre, les salles immenses du festival, ce public, les applaudissements, ça m’a bouleversée. C’est si fort de découvrir le film avec le public. T’es à la fois sur l’écran et dans la salle, ton corps est un peu partout dans l’espace et tu sens les vibrations.

Quelqu’un a filmé la standing ovation pour le film de Mathieu Amalric et l’a mise sur Youtube. J’ai revu les images. Je n’arrive même pas à me reconnaître. On était tous dans un état second. Une libération, un truc qui se passe de mot. C’est ça pour moi, Cannes.

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Dans ces deux films, vous incarnez une femme qui va vers une révélation intérieure, artistique dans Bergman Island et tragique dans Serre moi fort. Pourquoi, à votre avis, inspirez-vous ce type de personnages très modernes ?

Peut-être parce que moi-même, j’ai accepté d’attendre que quelque chose arrive. Je sais que je ne sais pas. Ma fragilité fait partie de moi. Depuis que je suis petite, je crois, je ne crains pas l’inconnu. Quand on est une jeune fille, soit on apprend à rentrer dans une case et à plaire, soit on décide de se dissoudre, de disparaître et de constamment devoir s’inventer.

Moi, j’ai grandi comme ça. Je ne voulais pas être celle qu’on regarde, je ne voulais pas plaire comme ça. J’invite les gens à ne pas savoir avec moi. Je veux faire des films, jouer des rôles, dans lesquels je te prends la main doucement et je t’invite à te perdre avec moi, à ne pas être parfait. J’ai envie de ces rôles-là, de ce cinéma-là. Paul Thomas Anderson m’a amené ça, Mia dans un autre genre, Mathieu aussi. Ils m’ont emmenée là où je pouvais me perdre.

« Bergman Island » de Mia Hansen-Løve : les métamorphoses829c6bb5 a8b0 4ee7 9cd9 98804281082c vickykrieps

Vous avez tourné également avec M. Night Shyamalan. Est-ce que vous vous sentez à l’aise dans tous les genres de cinéma ?

Avec Mathieu Amalric, le plus. C’est la plus belle, la plus forte des expériences que j’ai connues. Avec Mathieu on partage le même esprit du chaos. Faire ce film avec lui, comme ça, j’avais le sentiment d’être exactement là où je devais être. Comme lui, j’aime le désordre, j’aime trouver ma place dans le mouvement, m’adapter. Tout est intense, tout est instinctif avec lui. C’est le cinéma qui me convient. Mais je trouve ça important et amusant d’aller voir ailleurs.

Avec Mia Hansen Love, je me suis confrontée à un cinéma très écrit, très intellectuel. Elle m’a appris la structure, la finesse, la mesure. On travaillait tout en délicatesse. En tant qu’acteur, il faut rentrer dans son monde, dans sa langue. Moi, c’est un truc qui me terrorise un peu. Comme je te disais, j’ai toujours essayé de vivre hors des cases.

Mon travail d’actrice, ici, ça a été de trouver quelque chose dans le monde de Mia qui résonne avec le mien. Il fallait que je trouve ma place dans ce texte, que je me détache un peu. Alors j’ai laissé planer les mots, j’y ai mis un peu de doute pour que quelque chose de vivant les traverse. Mia m’a vraiment laissée exister à l’écran, m’a libérée de son texte.

Et avec Shyamalan ?

C’était plus dur. Ce type de film ne laisse pas beaucoup de place aux acteurs. Et un réalisateur comme Shyamalan, encore moins. Il maitrise tout ! Donc il fallait que subtilement, de manière très personnelle, je travaille un peu contre le film. C’est un thriller fantastique très prosaïque, très dans l’action, mais il y a une double lecture très philosophique sur ce que le temps nous fait. C’est ça qui m’a plu.

Et Shyamalan sait faire ce type de films comme personne. Il sait où il va. Toi, peut-être pas, mais il faut se laisser faire. Tous les personnages du film sont un peu des archétypes. Ça m’a amusée de jouer « la Mère », dans tout sa dimension iconique. Alors, en permanence, je jouais le scénario au second degré. C’est la solution qu’on avait trouvée avec Gael Garcia Bernal pour trouver du sens à ces personnages. Les jouer pour ce qu’ils veulent dire à l’écran et non ce qu’ils sont dans le scénario. Moi, dans le film, je suis l’Amour. Total, pur. Faut avoir joué ça au moins une fois dans sa vie, non ?

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Bergman Island de Mia Hansen-Love, en salles en ce moment

Old de M. Night Shyamalan, en salles de 21 juillet

Serre moi fort de Mathieu Amalric, en salles le 8 septembre

Photographie : © Julien Lienard pour TROISCOULEURS