« Titane », ou le retour vrombissant de Julia Ducournau avec un film-monstre

Quatre ans après le phénomène « Grave », la prêtresse du jeune cinéma de genre français revient avec ce film jusqu’au-boutiste, à la fois tentative d’un cinéma ultra viscéral et curieux essai sur les mutations de l’identité humaine.


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Ce film a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes 2021

Affirmons d’abord que l’attente est à la hauteur des ambitions du second film de Julia Ducournau, qui n’a pas pris froid aux yeux depuis le succès de Grave. Au contraire, Titane marque un cap déjà majeur dans sa filmographie, au point de faire feu de tout académisme. La forme est abrupte, presque expérimentale. On est dans la pure organicité, la cinéaste ayant accompli un vrai tour de force : traduire ses obsessions théoriques, entre corps malades et métamorphoses identitaires, à l’intérieur du langage cinématographique – jusqu’à s’en créer un à soi.

C’est que Titane est bien un film malade, un film atteint de convulsions, de sautes, de coupes, de fulgurances horrifiques ou musicales. Les êtres qui le peuplent sont, eux aussi, malades ; à commencer par son héroïne punk, Alexia, jeune femme au cerveau protégé par une plaque de titane. Cyborg glamour, elle danse le jour et tue la nuit, happée par d’obscures pulsions qui la rendent inapte à l’amour. Lorsqu’elle tombe enceinte, elle n’a d’autre solution que celle de fuir.

Mais chez Julia Ducournau, la fuite en est une au carré : on se fuit soi-même, on se réinvente, on réécrit l’histoire. Alexia n’est qu’un nom parmi d’autres mais, à vrai dire, l’héroïne de Titane appartient à un genre nouveau : ni homme ni femme, ou bien les deux à la fois, la cinéaste se jouant de la performance de genre avec une grande force visionnaire.

Hanté par une forme de transhumanisme, le film tire d’ailleurs son pouvoir de fascination de cette question de l’identité, ici soumise à une perpétuelle mutation. Pas de place pour la normativité d’un monde croulant, fait de stéréotypes et d’assignations : il s’agit de radicalement libérer les corps, voire de les ramener à l’état de glaise. Processus de déconstruction qui ne peut se faire que dans la douleur, intense et nauséeuse, de celle qu’éprouvent ceux qui vont à contre-courant. C’est aussi le cas d’une cinéaste qui accouche là d’un objet sans concession aucune, pas effrayée une seconde par la violence de son audace, n’appartenant qu’à son propre univers.

Titane de Julia Ducournau, Diaphana (1 h 48), sortie le 14 juillet