« Sans filtre » de Ruben Östlund : la croisière s’enlise

Rebelote. Palmé en 2017 pour « The Square », le Suédois Ruben Östlund a de nouveau raflé la Palme d’or cette année à Cannes pour « Sans filtre » une comédie qui tache sur l’argent, les rapports de pouvoir et l’indécence de notre époque.


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Entomologiste et observateur avisé de nos bassesses et de nos pires travers, le réalisateur suédois peint sur l’écran de son cinéma le monde tel qu’il le dégoûte. Il s’attaque avec Sans filtre (le titre original, Triangle of Sadness, est plus parlant) à l’argent roi. Qui possède et qui est possédé ? De cette vaste question qui fait tourner en rond le monde capitaliste, Ruben Östlund tire une farce en trois actes. Il plonge d’emblée au cœur du réacteur, en ouvrant son film avec une scène hilarante de casting de mannequins hommes dans laquelle les corps photocopiés sont là pour vendre du luxe, avec le sourire en option.

« The Square » de Ruben Östlund

Avec son sens du cadre minimaliste qui étire le malaise, Östlund installe dans ce premier acte une comédie amoureuse sur la place de l’argent dans le couple – ici une influenceuse et un mannequin – et la dynamique de genres. Le ton est acerbe, la situation, absurde, et le cinéaste joue comme toujours à merveille des effets de rupture et de redondance. Moins bourreaux que victimes consentantes, ces deux personnages deviennent le pilier vacillant d’un film qui va de plus en plus loin. Dans le deuxième acte, à bord d’une croisière de luxe, les rapports de force et d’argent s’aiguisent, la laideur est partout, et Östlund bascule allègrement dans la grosse farce qui tache, avec effet mal de mer.

Hommage au Sens de la vie des Monty Python, cette partie agit comme une catharsis comique qui dégueule (littéralement) sur l’écran toute la monstruosité des puissants. Pas finaud certes, mais tellement énorme, tellement burlesque que quelque chose lâche et va jusqu’à l’épuisement sidéré du spectateur hilare. Östlund orchestre alors, dans un troisième acte buissonnier sur une île déserte, un renversement ironique qui rebat les cartes du pouvoir. La mécanique n’est pas nouvelle, et Östlund a la satire un peu courte (le pouvoir rend pervers). Mais il est sauvé par son couple de héros qui, perdus dans un monde qui les a dépossédés d’eux-mêmes, rêvent de s’appartenir l’un à l’autre.

Sans filtre de Ruben Östlund, Bac Films (2 h 29), sortie le 28 septembre