Les deux cinéastes racontent le tournage d’un drame social dans la cité Picasso, à Boulogne-sur-Mer. Elles se focalisent sur le ressenti de trois jeunes, Lily (impressionnante Mallory Wanecque), Jessy et Maylis, et d’un enfant, Ryan, sélectionnés lors d’un casting sauvage (ils n’ont aucune expérience de jeu) par un réalisateur belge voulant faire un film social. Dans la cité, personne ne comprend pourquoi ces « cas sociaux » ont été choisis…
Art vampirique par excellence, le cinéma a souvent capitalisé sur l’aura supposée de jeunes cassés. En France, on se souvient du cas de Gérald Thomassin, ancien gosse de la DDASS pêché pour jouer Le Petit Criminel de Jacques Doillon en 1990, avant de connaître une descente aux enfers (toxicomane, accusé de féminicide, celui-ci est porté disparu depuis 2019). Ou bien celui de Dylan Robert, acteur principal de Shéhérazade de Jean-Baptiste Merlin, sensation du Festival de Cannes en 2018 – le comédien a été incarcéré en début d’année après avoir reconnu deux vols avec violence.
Si les trajectoires brisées de jeunes acteurs comme celle de Gérald Thomassin ne sont jamais citées dans le film, on pense instinctivement à l’histoire de ce jeune gosse de la DDASS pêché pour jouer Le Petit Criminel de Jacques Doillon en 1990. Poussé sur le devant de la scène sans avoir rien demandé, son destin cabossé (toxicomane, accusé d’homicide, celui-ci est porté disparu depuis 2019) a été retracé dans l’enquête passionnante L’Inconnu de la poste de Florence Aubenas. On a aussi en tête Dylan Robert, rôle principal de Shéhérazade de Jean-Baptiste Merlin, sensation du Festival de Cannes en 2018 – le jeune comédien a été incarcéré en début d’année pour avoir reconnu deux vols avec violence.
Avec cette mythologie du cinéma en toile de fond, le film observe finement chaque personnage, opposant leur réputation dans la cité – en fait, le rôle que chacun y joue (la fille facile, le rejeton d’une mère folle, la gamine androgyne et solitaire, la grande gueule) – à leur vraie personnalité. Il interroge la manière dont le cinéma se nourrit de ces clichés pour les recracher, analyse sa fascination pour la misère, sa quête de sensationnalisme jusqu’à parfois tordre la réalité (comme dans cette scène où le réalisateur choisit de filmer son jeune héros devant un HLM délabré plutôt que devant l’un des nombreux immeubles en bon état).
La critique de ces penchants malsains est frontale. Mais il y a aussi un contrechamp plus glorieux, amené par deux personnages : l’assistante du réalisateur et un régisseur, qui accompagnent ces jeunes plantés devant une caméra qui génère peur et stress parce qu’elle touche à ce qu’il y a de plus intime. Le personnage du réalisateur est lui aussi contrasté : d’abord prêt à tout pour obtenir des séquences larmoyantes ou sexy, il se complexifie. Nuancée, bouleversante par moments, cette étude méta s’inscrit dans un désir collectif et très actuel : celui d’une (r)évolution des pratiques, au cinéma et en dehors.
Les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret, Pyramide (1 h 39),sortie le 7 décembre