« France » de Bruno Dumont : son univers impitoyable

Le cinéaste nous avait laissé sur un diptyque moyenâgeux adapté de Charles Peguy et consacré à la jeunesse de Jeanne d’Arc. Changement d’époque avec France, une tragi-comédie contemporaine dans le milieu de la télévision, avec, dans le rôle d’une reine du JT en pleine crise existentielle, une Léa Seydoux réinventée.


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France de Meurs est une super-journaliste. Non que ce qu’elle fasse soit « super », moralement parlant – le film n’aura de cesse de brocarder la part de manipulation et de mensonge de son métier – mais l’icône du PAF force le respect, présentatrice glamour la nuit et courageuse reporter le jour, capable de s’aventurer dans les plus périlleuses zones de conflit comme d’invectiver le Président Macron, sous l’œil insatiable d’une caméra complice.

La super-héroïne cathodique va néanmoins tomber sur un os, littéralement, par le biais d’un banal accident de la route avec un garçon sans le sou. La bulle patiemment modelée par France explose en vol : son confort bourgeois, aussi décorrélé du réel et obscène que ses reportages à sensation (ne dit-elle pas « Action » et « Coupez » comme sur un tournage de cinéma ?), le cynisme trash de son assistante Lou (Blanche Gardin)… tout le factice hypocrite du système médiatique lui saute à la gorge. Cette prise de conscience tragique vient tordre le rire de la charge satirique, finalement assez prévisible, contre le barnum de la télévision.

La farce change de ton, se mêle de malheur et de mélo, les grimaces du simulacre se muent en rictus désespérés, quand soudain se mettent à perler les larmes de France. Filmées en d’obsédants zooms sur le visage d’une Léa Seydoux transfigurée, ces larmes apparaissent pour Dumont comme autant de petits miracles. Par elles en effet, France, à défaut d’atteindre l’idéal dans sa chute, redevient modestement humaine. ERIC VERNAY

: France de Bruno Dumont (ARP Sélection, 2h14), sortie le 24 août