Ça commence par un accouchement en gros plan. Ou plutôt un vêlage : la vache laitière Luma donne naissance à sa petite, un veau à la magnifique tête blanche. Mais, déjà, la main de l’homme s’immisce dans le processus naturel : des fermiers ont encordé les pattes du nouveau-né pour le sortir plus aisément, et le procédé de tractation a quelque chose de violent, voire de barbare. Après des scènes d’à peine quelques minutes où la mère et sa petite font connaissance, leurs routes se séparent – déchirants meuglements de désespoir de Luma, qui semble comprendre tout ce qui se joue. La caméra de l’audacieuse cinéaste britannique suivra ensuite les destins parallèles des deux belles bêtes, avec l’empathie et le sens de la narration admirables qu’on lui connaît.
Andrea Arnold : « J’avais l’idée d’aller du conscient à l’inconscient, montrer le cycle de la vie »
Sans voix off, quasiment sans jamais montrer les fermiers – mais sans non plus en faire de diaboliques figures de l’ombre –, Cow nous donne à voir le quotidien bien peu désirable de ces êtres occupants une place fondamentale dans la vie des humains. Alors que la mère subit indéfiniment le rituel de la traite, plusieurs fois par jour, par un robot dans une ambiance improbable (dans le hangar où les vaches sont traites en cercle résonnent des tubes de pop mélancolique, sans doute pour les détendre – pour nous autres humains, c’est archi glauque), sa petite apprend la vie tout sauf sauvage. Il faut le dire, certaines images sont dures à voir. Mais la cinéaste ne retourne pas nos cœurs par plaisir sadique, plutôt pour chambouler nos représentations, voire carrément la hiérarchie entre les êtres vivants.
Ni un documentaire animalier ni une vidéo de l’association L214 pour lancer l’alerte sur les conditions d’élevage bovin, Cow ne ressemble qu’à une chose : un film d’Andrea Arnold. On se surprend à songer aux scènes d’amour romantiques et planantes d’American Honey en voyant celle où Luma et un taureau se lancent des œillades et se séduisent (une rencontre fomentée par les fermiers, évidemment) au son de « After the Storm » de Kali Uchis, un feu d’artifice perçant la nuit en arrière-plan. Et on pense à la liberté gagnée de haute lutte par les héroïnes de tous ses films (Red Road, Fish Tank, Les Hauts de Hurlevent) devant un interlude paradisiaque où les deux vaches vont, chacune de leur côté, paître dans un véritable champ. C’est là que, le museau enfin dans l’herbe fraîche ou contemplant les nuées d’oiseaux dans le ciel et non plus les tristes avions, elles semblent enfin voir le jour.
En vidéo, le lien entre les héroïnes d’Andrea Arnold et leur environnement
Cow d’Andrea Arnold, Ad Vitam (1 h 34), sortie le 30 novembre