Arnaud Desplechin n’a plus besoin de séduire. Délesté des structures romanesques généreuses de films comme Comment je me suis disputé… (1996) ou Un conte de Noël (2008), où le foisonnement des personnages et des histoires donnaient l’impression de plonger dans un grand bain de récits, Frère et sœur est un film sec. Un film malade et mortifère qui fait corps avec son sujet et cette famille brisée. Louis et Alice, d’un côté, frère et sœur qui se vomissent, fous d’une haine qui les nourrit et les maintient en vie. Leurs parents, de l’autre, couple fragile dont l’agonie devient le fil tendu du récit.
Frère et sœur, on l’aura compris, n’est pas un film aimable. D’ordinaire fantasque et jubilatoire, ce Desplechin nouveau ressasse, digère, mâche et remâche le même sentiment fou, la même névrose mystérieuse qui tient à distance Alice de Louis. Film de colère, il préfère la préparation pour monter sur le ring, l’excitation et l’épuisement à attendre le combat plus que le combat lui-même.
Impressionnants monstres de cinéma, Marion Cotillard et Melvil Poupaud s’offrent corps et âme à ces deux personnages furieux qui ne cessent de parler l’un de l’autre sans jamais se voir. La caméra de Desplechin, plus rugueuse et heurtée que jamais, les observe comme des animaux en cage qui tournent et retournent leur haine dans tous les sens, la racontent, la subliment par les mots, se mettent en scène l’un par l’autre, l’un dans le regard de l’autre, jusqu’à une jouissance, une catharsis qui semble ne jamais venir.
Chaque scène monte très haut mais se refuse d’atteindre le climax, le point qui libérerait ses personnages d’eux-mêmes. La haine ici avale tout, elle devient l’oxygène d’un film étouffant dont la radicalité laissera peut-être les spectateurs de côté. Pourtant, dans ce jusqu’auboutisme romanesque, Desplechin touche ici à l’épure, une violence de cinéma éprouvante qui rend ces deux personnages et ces deux performances d’acteurs inoubliables. Un film d’amour, un film de haine comme on en voit qu’au cinéma.