Ode au miracle de la foi ? Ou au contraire satire féroce exhibant tout ce que pourrait bien relever, aux yeux de l’église catholique, du blasphème et du sacrilège ? Comme ses personnages, dont on ne sait jamais vraiment s’ils jouent délibérément un rôle ou s’ils croient véritablement en ce qu’ils racontent, Benedetta est un film qui brille lorsqu’il évolue, en équilibre, sur cette fine ligne séparant le mensonge de la vérité, le doute de la crédulité. En adaptant l’ouvrage de Judith C. Brown, consacré au scandale provoqué au 17te siècle par la relation lesbienne entre une nonne, Benedetta Carlini (Virginie Efira), et une novice, Bartolomea (Daphné Pataki), Paul Verhoeven continue, après Elle, d’interroger la place centrale du jeu et du simulacre dans les rapports humains.
La relation (interdite) entre les deux religieuses prend place dans les recoins d’un couvent en forme de grande scène de théâtre, où l’on procède à des répétitions et à des cérémonies ordonnées. Chez Verhoeven, la religion, au même titre que le sexe, est affaire de mise en scène et de cinéma : il y a un protocole, plusieurs étapes, des douleurs et des plaisirs, mais surtout un échange permanent entre voir et montrer, entre exhibitionnisme et voyeurisme.
La première des visions christiques de Benedetta, qui lui vaudront plus tard d’être sanctifiée puis amenée sur le bûcher, surgit ainsi au beau milieu d’une performance carnavalesque, où la nonne est à la fois actrice (elle joue la vierge Marie) et spectatrice (elle fantasme Jésus en train de descendre d’une colline). Devant Benedetta (le film), le spectateur est aussi invité à se perdre dans les méandres d’un spectacle joyeusement grotesque, qui se révèle, à mesure de l’avancée du récit, de plus en plus malin et retors.
Empruntant une forme télévisuelle assez ingrate, comme pour mieux accentuer son étrangeté, Benedetta avance à la manière d’un cheval de Troie, pour finalement livrer un beau finale sur la possibilité de croire au miracle malgré les contours aberrants d’un monde qui, comme souvent chez Verhoeven, sonne décidément faux.