Ari Folman : « On ne fait pas assez confiance aux enfants sur leur perception des choses »

Mêlant savamment les époques, Ari Folman fait résonner le destin tragique d’Anne Frank avec celui des personnes réfugiées dans certains pays Européens aujourd’hui.


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Pourquoi ce choix d’une nouvelle adaptation du Journal d’Anne Frank ?

L’impulsion du projet ne vient pas de moi, j’ai été approché par la Fondation Anne Frank qui m’a proposé d’adapter le journal en animation. J’ai d’abord refusé : je ne voyais pas ce que je pouvais dire de plus sur cette histoire par rapport aux œuvres existantes. Et puis, j’ai lu le journal et j’en ai parlé à ma mère. Elle m’a menacé de ne plus me parler si je n’acceptais pas le projet – c’est une survivante de l’Holocauste. Du coup, j’ai accepté.

D’où est venue l’idée de personnifier le journal d’Anne Frank sous les traits de Kitty, son amie imaginaire ?

J’ai mis des années pour trouver la bonne façon d’adapter l’histoire, comment lui donner une nouvelle dimension. J’avais trois ambitions. D’abord, essayer de faire un film qui évoque l’Holocauste et cette époque mais qui puisse être vu par des jeunes enfants et des familles. Je voulais aussi faire un ajout par rapport au livre, parler des sept derniers mois de la vie d’Anne Frank, parce que ce n’est pas connu.

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Si ça l’avait été, peut-être qu’elle ne serait pas devenue une telle icône, car je pense que l’une des raisons qui font que son journal a connu un grand succès, ce n’est pas seulement son côté spectaculaire, mais parce qu’il n’e contient pas de cruauté, elle n’évoque pas la famine dans les ghettos ni les camps. La troisième chose que je voulais faire, c’était mélanger le passé et le présent pour montrer comment ça peut résonner avec ce qui se passe pour nous aujourd’hui. En lisant le Journal d’Anne Frank, j’ai eu l’impression de lire des instructions précises pour créer Kitty, parce qu’Anne donne beaucoup de détails sur la manière dont elle l’imagine.

Pourquoi avoir choisi l’animation pour ce projet, comme pour vos deux précédents films ?

C’est comme ça qu’on m’a proposé le projet, je n’aurais pas pu le faire autrement. Et ça permettait de toucher une audience jeune, c’était le seul moyen. Le défi était d’intégrer les personnages animés dans des décors en stop motion. On a surtout tourné ces parties à Londres, dans le studio de l’équipe de Wes Anderson, là où il a fait Fantastic Mr. Fox et L’île aux chiens, des films que j’adore.

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Est-ce que ce projet vous a permis de découvrir de nouvelles possibilités techniques et artistiques permises par l’animation ?

J’étais obsédé par l’idée de faire un film en stop motion. Je trouve cet artisanat incroyable, j’adore regarder les artistes fabriquer les marionnettes et les faire bouger petit à petit. Je voulais que le film soit entièrement en stop motion mais c’était trop cher, je n’ai pas réussi à lever les fonds nécessaires. L’autre chose que j’ai voulu tester sur le plan technique, c’est d’inverser la façon dont on représente habituellement le passé et le présent dans des récits qui mêlent les deux.

Souvent, les souvenirs sont illustrés avec des images dans les tons sépia ou en noir et blanc, alors que le présent est représenté avec des couleurs vives. J’ai fait l’inverse : dans le film, le présent est assez déprimant, on montre un Amsterdam monochrome en hiver, tandis que le passé, qui émane de l’imagination, et plein de couleurs. Et il y a aussi les séquences de rêves qui sont dans un troisième style, qui intègre du stop motion.

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Le film est destiné avant tout à être vu par des enfants. Comment avez-vous placé la limite, en termes de représentation de la violence, de l’horreur de la Shoah ?

Je pense que le plus grand défi concernait la scène représentant les Enfers, celle où l’on voit le plus les nazis. La partie du Journal sur la façon dont Anne imagine ce que font les nazis n’a pas été représentée dans les adaptations du livre jusqu’ici. Je pense que c’est trop graphique, ça ne marche pas. J’ai imaginé qu’on pouvait faire un parallèle entre la mythologie grecque, qui me passionne, et les méthodes d’exécution des nazis. Les uns utilisent des barques, d’autres des trains.

Dans les deux cas, les gens transportés ou déportés doivent abandonner tous leurs biens. Et il y a le même type de sélection, en arrivant au camp ou aux Enfers : une sorte de Dieu qui choisit qui vit et qui meurt. Les échos entre les deux m’ont semblé vertigineux, et ça m’a permis de raconter ce passage de manière très colorée en mettant en scène des personnages mythologiques.

Les nazis sont très stylisés, ils sont impressionnants voire angoissants avec leurs visages blancs inexpressifs comme des masques et leurs yeux vides. Vous n’aviez pas peur d’effrayer les enfants ?

Je pense qu’on ne fait pas assez confiance aux enfants sur leur perception des choses. Ils sont beaucoup plus intelligents que ce qu’on croit. Je me souviens très bien du moment où j’ai montré Le Voyage de Chihiro à mes enfants, qui avaient environ 6 ans. La scène d’ouverture, quand les parents se transforment en cochon et que l’héroïne ne les retrouve plus, les a terrorisés. Mes enfants m’en parlent encore aujourd’hui en m’engueulant, ils trouvent ça ahurissant de leur avoir montré le film dans leur enfance. Comme Le Tombeau des Lucioles, qui est un film très dur et triste, ça les a complètement traumatisés. Je pense qu’on a fait quelque chose de plus facile à regarder par des enfants avec notre film.

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Vous intégrez une dimension politique en faisant un parallèle avec la manière dont certains pays européens accueillent les réfugiés. Quelle a été votre approche pour rendre cela accessible aux enfants ?

J’ai toute confiance en eux, je pense qu’ils peuvent tout à fait comprendre ces notions. Il y a trois héros dans le film : Anne, Kitty mais aussi Peter, le jeune skateur. On pourrait dire que, selon les termes d’aujourd’hui, Kitty et Peter sont des activistes. Peter vole du lait pour aider les réfugiés ; Kitty vole le Journal d’Anne Frank et s’en sert à la fin pour marchander le droit d’asile de ses amis aux Pays-Bas. Ils sont à la fois cool, pour permettre aux enfants de s’identifier, et ils font des actes politiques.

Karen O compose en grande partie la B.O. C’est vous qui l’avait amenée sur le projet ?

Oui ! Je l’adore. Je suivais les Yeah Yeah Yeahs au début des années 2000. Ensuite Karen O a fait la B.O. de Max et les Maximonstres, je suis littéralement tombé amoureux de cette B.O., je l’écoutais à chaque voyage en avion. J’attendais le bon projet pour proposer une collaboration à Karen, ça a été celui-là. Je trouve que c’est un génie, notamment sur le plan émotionnel : elle est capable de vous toucher en plein cœur avec seulement deux notes de chant.

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Images : Copyright Purple Whale Films