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DOSSIER : Xavier Dolan vu par sa bande

  • Quentin Grosset
  • 2019-10-04

Trente ans : Xavier Dolan est désormais assez âgé pour être en proie à la nostalgie d’une jeunesse qu’il a brûlée dans le cinéma. Mais avec son huitième long métrage, "Matthias et Maxime", le cinéaste canadien ne semble vouloir ni s’assagir ni tomber dans l’amertume ; juste retrouver un peu de légèreté.

Trente ans : Xavier Dolan est désormais assez âgé pour être en proie à la nostalgie d’une jeunesse qu’il a brûlée dans le cinéma. Mais avec son huitième long métrage, Matthias et Maxime, le cinéaste canadien ne semble vouloir ni s’assagir ni tomber dans l’amertume ; juste retrouver un peu de légèreté. Pour ça, il a puisé dans l’énergie et la bienveillance de sa bande d’amis, qui revient pour nous sur son parcours fulgurant.

« Je sais que ce qui m’émeut systématiquement – et c’est à travers ce système-là que j’essaye d’émouvoir les gens –, c’est l’idée du temps qui passe. Les gens qui vieillissent, qui changent, les erreurs qu’on fait, les gens qui nous quittent, les amis qui s’en vont, la vieillesse, les rêves échoués…» Quand Xavier Dolan nous confiait cette propension à la nostalgie, il n’avait que 25 ans et venait de réaliser Mommy, son cinquième film. Aujourd’hui qu’il revient avec Matthias et Maxime, et après une décennie de carrière (son premier film, J’ai tué ma mère, est sorti en 2009), on peut dire que le tout jeune trentenaire n’a pas dévié : tout son cinéma est traversé par l’idée de retenir le temps. Lui-même a toujours vécu à toute allure, s’est affirmé dans l’urgence. Au risque d’oublier de profiter, de traîner sans raison, juste pour la contemplation.

Matthias et Maxime (2019)

Aujourd’hui, plutôt que de nous livrer le film de la maturité, il réunit ses proches et ses fidèles collaborateurs (l’actrice Anne Dorval, le chef opérateur André Turpin…) et s’installe dans un cocon rassurant : à Longueuil, où il a vécu son enfance, à Montréal, et à une heure et demie de là, à Mont-Tremblant, où les membres du gang ont loué un chalet pour prolonger la dynamique chaleureuse qu’ils impriment sur pellicule. «Dans la vie, on est tous très proches: Antoine Pilon est mon copain; j’ai présenté Gabriel D’Almeida Freitas à Xavier il y a cinq ans», détaille Catherine Brunet, amie d’enfance de Dolan qui joue dans Matthias et Maxime et par l’intermédiaire de qui la plupart des membres de la petite bande se sont rencontrés. En revenant ainsi à ses amitiés fondatrices au travers de la fiction, Dolan semble vouloir rester fidèle à sa jeunesse, dans ce mélange qui lui est propre de spleen et de désinvolture.

FUREUR DE VIVRE

«Xavier a une ultraconscience du temps qui passe. Quand il était ado, il me disait: “Je vais mourir avant toi, je n’atteindrai pas les 40 ans” », se souvient son actrice phare, l’éternelle mère dans ses films, Anne Dorval. «Il calculait l’âge auquel il allait mourir, probablement jeune, et il élaborait des scénarios de fin du monde. Il était un peu emo boy », plaisante Catherine Brunet, actrice qu’il a beaucoup côtoyée dans les studios de doublage (ensemble, ils ont fait les voix québécoises du Livre de la jungle 2 ou de Hunger Games). Dès l’enfance, le futur cinéaste brûle de vivre. À 8 ans, alors acteur dans des pubs, il écrit une lettre à Leonardo DiCaprio dans l’espoir que son idole le reconnaisse comme un pair. À 11 ans, fan de Harry Potter, il appelle la Warner, mécontent d’apprendre que les films n’auraient pas de version québécoise. Il est entendu et finit par devenir la voix du personnage Ron Weasley.

Xavier Dolan et Anne Dorval sur le tournage de Mommy (2014)

Vers ses 16-17 ans, impatient de se réaliser, il parvient à contacter Anne Dorval, dont il est fan depuis ses rôles déments dans la série Le cœur a ses raisons. Il lui confie alors une ébauche encore inaboutie de scénario, conçue à partir d’une nouvelle au titre cruel, Le Matricide, qu’il a écrite pendant un moment d’ennui en cours de français, au collège Maisonneuve de Montréal. Anne Dorval confie : «Ce que j’ai appris de lui, c’est qu’il ne faut pas attendre pour faire ce dont on a envie. Il a toujours eu cette façon très frontale d’aller frapper à la porte de personnes influentes.» L’actrice lui demande alors de retravailler le scénario de ce qui allait devenir J’ai tué ma mère avant d’accepter le rôle d’un personnage s’inspirant de la propre mère de Dolan, fonctionnaire dans l’éducation, mais aussi des voisines de son quartier d’enfance, qui se battaient pour élever seules leurs enfants. «Son amour des femmes, parfois vieillissantes, c’est quelque chose qui ne s’est pas atténué avec les années», se réjouit aujourd’hui Anne Dorval.

Dans cette première fiction tourmentée, Dolan se confie intimement : son coming out, la frustration d’être envoyé en pensionnat… Lâché par ses producteurs, il persévère en finançant lui-même le film avec les économies amassées en jouant dans des pubs. Quelques mois plus tard, J’ai tué ma mère est sélectionné à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs. Les festivaliers sont stupéfaits par l’explosion de vitalité du film, et par l’âge de son réalisateur – il a seulement 20 ans. Directeur général de mk2 (qui édite TROISCOULEURS) et futur coproducteur de Laurence Anyways, Mommy et Matthias et Maxime, Nathanaël Karmitz se remémore la fougue déconcertante de Dolan : «J’avais vu J’ai tué ma mère, ça avait été un vrai petit phénomène cannois. Alors qu’on travaillait avec la productrice canadienne Lyse Lafontaine sur un autre film, elle m’a dit qu’il y avait dans la salle de montage à côté un petit gars qui faisait des choses très prometteuses. “Tu veux bien regarder ?” Un soir, j’ai donc reçu le lien des Amours imaginaires. J’ai vu un film brillant mais en même temps très agaçant. Il y avait beaucoup trop d’effets de style. J’ai fait un retour, mais je le sentais qu’à moitié. Sauf que, vingt-quatre heures après, il m’a envoyé le film avec toutes les corrections prises en compte.»

Monia Chokri dans Les Amours imaginaires (2010)

Mk2 acquiert alors les droits de diffusion des Amours imaginaires en France. Si J’ai tué ma mère avait déjà attisé la curiosité des spectateurs français, Les Amours imaginaires constitue le début d’une vraie relation suivie entre Dolan et le public hexagonal. Monia Chokri analyse cette rencontre retentissante : «D’autres pays comme la Corée du Sud ont très bien accueilli les films de Xavier. Mais il s’est vraiment passé quelque chose avec les jeunes Français. Il y a peut-être un hasard de contexte; d’amour du cinéma aussi.» Avec l’ardeur de la jeunesse, Dolan revisite le motif classique du ménage à trois. Sauf qu’il le revigore à l’aune de la fluidité sexuelle d’aujourd’hui. Il touche ainsi une génération plus sensible aux enjeux de représentation queer que les précédentes, celle qui télécharge tout aussi frénétiquement l’intégrale des films de François Truffaut et la discographie complète de Céline Dion, faisant fi des frontières entre cultures d’élite et popu, samplant toutes les époques à une vitesse dingue.

Le débit de création de Dolan est inarrétable (huit longs métrages en dix ans), il devient vite un phénomène générationnel : «Avec Laurence Anyways, il a commencé à recevoir des mots de gens qui disaient que le film avait changé leur vie», se souvient Nathanaël Karmitz. Dolan continue de regarder dans le rétroviseur, particulièrement attiré par les années 1990 et 2000, celles de son enfance. Que ce soit à travers Laurence Anyways (2012), dans lequel il raconte sur dix ans une histoire d’amour et une transition de genre, ou plus tard dans Ma vie avec John F. Donovan (2018), il explore cette période comme pour retrouver le goût de l’innocence, comme pour échapper un temps au statut de cinéaste star qu’il a acquis.

VIVRE FATIGUE

Mu par un besoin vital de reconnaissance, le jeune homme est soumis à un stress qui n’a cessé de grandir. «Lors de notre première rencontre, j’ai été impressionné par sa façon très précise de visualiser ce qu’allait devenir le film, de déjà savoir dans quel festival il irait plus tard… Mais pendant le rendez-vous, il était aussi très anxieux. Il avait du mal à respirer», se rappelle André Turpin, directeur de la photo sur tous ses films depuis Tom à la ferme (2013). Quand il reçoit le Prix du jury à Cannes en 2014 pour Mommy, Dolan prononce un discours qui dit tout l’acharnement mis dans son cinéma : «Je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais.» Sa carrière s’emballe, et son cœur aussi. Deux ans après, Juste la fin du monde (2016), son premier film avec un casting entièrement français, est couronné du Grand Prix du festival. Mais il vit mal la timide réception par la presse. André Turpin évoque sa sensibilité à vif : «De film en film, les traits de caractère de Xavier s’amplifiaient: il était plus passionné, plus drôle, mais aussi beaucoup plus émotif. Il suffisait qu’on rate une scène pour qu’il soit démoli.» Face au doute, le cinéaste pense parfois à abandonner, à renouer avec une vie plus calme, par exemple en reprenant des études d’histoire de l’art. «En général, deux semaines après s’être lamenté, il nous faisait lire un nouveau scénario», s’amuse Brunet.

Xavier Dolan et André Turpin sur le tournage de Juste la fin du monde (2016)

Pour que rien ne lui échappe, Dolan cherche à tout contrôler. Sa tendance à la précipitation se calme le moment venu du tournage où, selon Turpin, le cinéaste est très pondéré, prenant soin de chaque détail en distribuant aux membres de l’équipe un lookbook de 200-300 pages posant les bases visuelles pour les costumes, les décors ou l’éclairage. Mais parfois, vouloir tout maîtriser ne suffit pas. Dolan a pu s’en rendre compte sur Ma vie avec John F. Donovan, son premier film en langue anglaise, avec un casting prestigieux (Kit Harington, Natalie Portman…) dans lequel il suit les parcours croisés d’un acteur de série qui, pour protéger sa carrière, cache son homosexualité, et d’un jeune fan avec qui il entretient une correspondance. «Le film a peut-être été surpensé. La première fois qu’il m’en a parlé, on était en repérages pour Tom à la ferme. Il pleuvait, on était dans une voiture, et il m’a joué tous les rôles», se souvient André Turpin. Dolan a-t-il été trop pressé de réaliser un film de cette dimension ? Quand on voit le résultat ample et écorché, on ne peut qu’imaginer la souplesse avec laquelle il a dû gérer les agents, les défis techniques, le montage inextricable. Finalement, le film, très mal accueilli par la critique anglo-saxonne au festival de Toronto où il a été présenté en 2018, ne sortira même pas aux États-Unis, où il a été partiellement tourné. Qu’importe, Dolan a la peau dure.

DOUCEUR DE VIVRE

Matthias et Maxime, c’est peut-être alors le film à la virtuosité calme d’un trentenaire qui a le sentiment que les dix dernières années sont passées de manière trop expéditive. Il commence ainsi : on s’épuise dans une salle de sport moite, on parle d’amis qui se rendent sans grand enthousiasme à une baby shower, on tombe sur un panneau publicitaire renvoyant l’image d’une famille engoncée dans son conformisme. C’est à la fois drôle et déprimant, tant cette ouverture résume toute l’appréhension de ceux qui pourraient préférer l’installation à l’aventure, quitter les nuits à l’arrache pour le nœud de cravate qui se resserre. On a l’impression dans ce film que Dolan dresse des paravents contre ce qu’il ne veut pas devenir, celui qui se range, finit par se résigner. «Sa vingtaine, il l’a vécue en tant que personnalité connue. Il a voulu revenir à ce truc plus authentique d’amitié. Par rapport aux complications qu’il a vécues avec Ma vie avec John F. Donovan, je l’ai senti serein», confie Gabriel D’Almeida Freitas, qui joue Matthias dans le film.

Gabriel d’Almeida Freitas et Xavier Dolan dans Matthias et Maxime (2019)

Sa mise en scène respire grâce à l’agitation de cette bande évoluant dans le milieu artistique québécois. «Jusqu’à ce film, il resserrait toujours plus le cadre, parfois trop à mon goût, en filmant avec des focales longues. Cette fois, on a tourné plus large», détaille André Turpin. «Le plateau était ultra sécurisant. Par exemple, la scène d’amour entre les deux amis, on l’a tournée sur une journée. C’était très lent, très respectueux, on a pris le temps de la vivre», développe D’Almeida Freitas. Le film étonne par sa manière de mêler cacophonie du groupe et profondeur discrète des sentiments, sublimés par une esthétique douce, pastel. «Xavier déborde. Mais je crois qu’il a appris à canaliser ce débordement. Il est plus dans l’économie et raconte beaucoup de choses avec peu. Pour moi, c’est la marque des grands auteurs», juge Chokri.

Où le mènera cette plénitude-là ? Ses amis nous ont confié que Dolan risque encore de nous prendre de vitesse. Ils parlent d’une foule de projets dont une mystérieuse série, racontent qu’il compte aussi plus s’investir dans le métier d’acteur (il sera notamment à l’affiche du prochain Xavier Giannoli, Comédie humaine, aux côtés de Gérard Depardieu), qu’il pense à une comédie sur le milieu du cinéma ou même à un film sur une distorsion temporelle. On prédit qu’il saura rester ce créateur vivant à contretemps, mais avec une vision toujours en phase avec son époque. 

Photos : (c) Shayne Laverdière

Matthias et Maxime de Xavier Dolan

Diaphana (1 h 59)

sortie le 16 octobre

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