MANIAC
Les scientifiques à grosse tête, qui planent dans un monde de concepts et de chiffres, font d’excellents personnages de fiction. En voici une nouvelle preuve avec ce roman sur John von Neumann, l’un des grands physiciens du xxe siècle, membre éminent du projet Manhattan et pionnier de l’informatique. À travers cette figure fascinante, le Chilien Benjamín Labatut s’interroge sur les ambiguïtés des révolutions technologiques et retrace l’histoire des applications de la physique moderne, du MANIAC, le premier ordinateur conçu par Von Neumann en 1952, à l’intelligence artificielle d’aujourd’hui. Un page-turner éblouissant, passionnant de bout en bout. Le meilleur roman de la rentrée ?
> de Benjamín Labatut, traduit de l’anglais par David Fauquemberg (Grasset, 448 p., 5 €)
LES REFLETS DU HASARD
Un type gagne à l’EuroMillions, mais laisse passer le délai pour toucher son chèque. Comme ça. Par flemme, désir de prendre le contrepied, ou parce qu’il est fou. C’est toute l’intrigue des Reflets du hasard, et c’est assez : l’essentiel de ce livre-expérience réside dans sa forme, celle d’une prose syncopée pareille à un solo de saxophone – ou de clarinette, instrument pratiqué par l’auteur. Le risque avec les projets de ce genre, c’est l’hermétisme. Rien de tel ici, alors même qu’Azoulay n’y va pas de main morte avec les inventions, les jeux de typographie, la scansion. Même si le morceau, si l’on peut l’appeler ainsi, s’essouffle à la fin, ces Reflets ne manquent ni d’audace ni de réussite.
> de Hélios Azoulay (Éditions du Rocher, 156 p., 15,90 €)
CONQUE
Archéologue renommée, l’héroïne est missionnée par son empereur pour conduire un chantier de fouilles à haute teneur politique. Ce qu’elle découvrira n’ira pas dans le sens souhaité par les autorités… Conque mêle un conte grinçant sur les usages de l’histoire et une fable poétique façon Rivage des Syrtes, qui invente une société. L’auteure s’en donne à cœur joie avec les noms – la villa Brumèse, les Morgondes… – et joue à plaisir sur l’aspect envoûtant de l’archéologie et des civilisations anciennes, avec leurs vertus guerrières, leurs coutumes religieuses, leurs objets d’art. Le style est au diapason de cet univers de conte, ornementé et raffiné. Un roman inattendu, l’un des plus originaux de la rentrée.
> de Perrine Tripier (Gallimard, 196 p., 19,50 €)
TARENTULE
Guatemala, années 1980. Le narrateur et son frère sont inscrits à un stage en forêt proposé par une organisation juive. Drôle de stage, où les gosses sont menés à la baguette et soumis à diverses maltraitances par des animateurs en uniformes noirs. Ce souvenir traumatisant ressurgira plus tard en Europe, quand le narrateur tombera sur deux protagonistes de l’affaire… Eduardo Halfon tient son lecteur en haleine en jouant d’un côté sur l’exposition d’enfants à la violence dès le premier paragraphe, de l’autre sur l’éclatement de la chronologie, le récit mêlant passé et présent dans une composition sophistiquée. En résulte un livre prenant, inquiétant, dans lequel le doute plane sur la part d’autobiographie et d’invention.
> d’Eduardo Halfon, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg (La Table Ronde, 208 p., 17,50 €)
LES VÉRITÉS PARALLÈLES
Ascension et dégringolade d’un reporter prometteur, récipiendaire à 29 ans du prix Albert-Londres pour des reportages en immersion dont nul n’imagine… qu’ils sont bidonnés. Marie Mangez renouvelle un thème souvent exploré au cinéma (Envoyés très spéciaux, France, etc.) en choisissant non un personnage de truqueur flamboyant, mais un faussaire pâlichon, veule et même pas malin, qui ne prospère dans l’escroquerie que grâce à l’inertie collective de son milieu professionnel. C’est sous cet angle, celui de la peinture satirique de la presse, que le roman présente le plus d’intérêt, faisant oublier que la vie privée du personnage manque un peu d’épaisseur et que la chute est expédiée au pas de charge.
> de Marie Mangez (Finitude, 256 p., 20 €)
AVEC PIERRE DE RONSARD
Franck Maubert a inventé un genre : il écrit des livres-objets miniatures, élégants, fugaces, dont l’extrême concision ne tient pas à une limite intérieure, mais au souci de ne pas dire un mot de trop, de s’en tenir à l’essentiel. Leurs sujets ? Le retour aux choses, aux paysages, aux campagnes, l’éloignement du monde et du bruit. Il nous invite ici chez lui à Couture-sur-Loir, le village de Pierre de Ronsard, où il possède une thébaïde et où il aime aller à la rencontre imaginaire du poète, en s’inventant des liens privilégiés avec lui, par-delà les siècles. En résulte un petit récit contemplatif sur les splendeurs élémentaires de la nature, les vérités des poètes et l’amère beauté de toutes ces « choses qui s’enfuient » (Charles Baudelaire).
> de Franck Maubert (Mercure de France, 124 p., 15 €)
UNE VIE PLEINE DE SENS
Le héros est un neurologue sans envergure, approché par un éditeur pour devenir le ghostwriter d’une diva du développement personnel. Précision : la diva est récemment décédée. Personne ne doit l’apprendre, afin que la poule aux œufs d’or continue de pondre… Cette histoire n’est qu’une facette de cette comédie enlevée ; l’autre, plus amusante encore, tenant aux déboires conjugaux du narrateur, traité comme un moins-que-rien par sa femme et son beau-père. Abonné jusqu’alors aux récits brefs, l’Uruguayen Pablo Casacuberta allonge la sauce dans ce roman plein de punch et d’humour, dans lequel le lecteur se demande s’il a envie de voir le héros relever la tête ou s’enfoncer encore plus.
> de Pablo Casacuberta, traduit de l’espagnol (Uruguay) par François Gaudry (Métailié, 324 p., 22 €)