mk2 Institut : une autre idée du monde
① Le carnet d’ethnologue
photo Julien Liénard, 2022
« Pour un ethnologue, le carnet de notes est absolument central. C’est un journal de bord de tous les jours. Il a cet avantage qu’il est immédiat. Il permet de saisir les conversations à bâtons rompus ; on peut le remplir de dessins. C’est une base documentaire solide, car la mémoire est très capricieuse. Tout est pertinent. Parfois, on peut se mordre les doigts de ne pas avoir noté un détail ou une attitude. Tout en sachant qu’il y a aussi des choses difficiles à retranscrire par les mots, c’est dans ce type de carnet qu’aboutissent toutes nos observations et nos interprétations. Il représente une connaissance acquise chronologiquement et qu’on organise ensuite thématiquement. Un carnet comme celui-ci, c’est une chronique de la progression dans la compréhension d’une culture. Je les ai tous gardés. »
② Philippe Descola prenant des notes chez les Achuar, 1977
photo : Anne-Christine Taylor
« Cette photographie date de de mon premier séjour en Amazonie équatorienne. Sur cette table faite de bric et de broc, je prenais mes notes. C’était le début, on devait apprendre à connaître les gens, s’habituer à la nourriture, au climat. Je me souviens que nous avions soigné un nourrisson avec les médicaments dont nous disposions. La mère, une nuit, s’est lamentée du décès de son enfant. La responsabilité était terrible à endosser, jusqu’à ce que nous comprenions que, pour ce peuple, être malade signifie être “un peu mort”. Le nourrisson, le lendemain, se portait finalement très bien. S’en est suivi un grand soulagement, évidemment. Ce fut l’une des premières émotions fortes de ce séjour. J’y suis resté trois ans. À mon retour, je rédigeais et publiais ma thèse [sous la direction de Claude Lévi-Strauss, ndlr]. »
③ Robert Campin, La Nativité, vers 1430
peinture à l’huile sur bois, musée des Beaux-Arts de Dijon
« Cette œuvre de l’atelier de Robert Campin est selon moi l’un des tableaux les plus importants dans le basculement vers un nouveau monde. Il s’agit certes d’une scène de Nativité propre à l’imagerie chrétienne du Moyen Âge. Mais ce qui est inédit est l’obsession mimétique pour dépeindre les éléments de composition : la figuration de la charpente, le visage individualisé des bergers, le paysage en haut à droite avec le chemin qui serpente entre les clôtures en plessis, les arbres émondés en têtard. L’importance accordée à la singularité humaine et l’illusionnisme du paysage sont notamment les symptômes, en peinture, de la naissance en Occident du naturalisme, une nouvelle manière de se représenter le monde et de considérer les autres êtres qui le peuplent. »
« Quand la bande dessinée dialogue avec l’anthropologie et l’écologie », rencontre avec Philippe Descola et Alessandro Pignocchi modérée par Thibaut Sardier, le 6 octobre au mk2 Bibliothèque à 20 h
tarif : 15 € | étudiant, demandeur d’emploi : 9 € | − 26 ans : 4,90 € | carte UGC/mk2 illimité à présenter en caisse : 9 € | tarif séance avec livre : 19 €
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Ethnographie des mondes à venir de Philippe Descola et Alessandro Pignocchi (Seuil, 176 p., 19 €)