C’est soit mièvre, soit invraisemblable, soit les deux, comme les premières pages d’Aquarium, le nouveau roman de David Vann. L’héroïne, Caitlin, a 12 ans ; elle vit seule avec sa mère, Sheri, qui trime dur sur le port et n’est jamais là pour la sortie de l’école. Alors, en l’attendant, Caitlin se réfugie chaque soir à l’aquarium municipal de Seattle, où elle admire les poissons… C’est du Dickens, avec un pathos un peu gênant. Mais, bientôt, l’intrigue s’accélère. Caitlin sympathise avec un vieux bonhomme, amateur de faune marine… qui n’est autre que le père de Sheri, ressurgi après dix-neuf ans d’absence. Sheri veut l’envoyer au diable, mais Caitlin s’est attachée à lui. C’est alors que le roman bascule, et que l’on oublie ses préventions du début. Remplie de haine contre ce père qui l’a abandonnée, Sheri se met en tête d’infliger à sa fille les mêmes souffrances qu’elle a vécues, pour lui montrer combien cet homme est mauvais.… Impossible d’en dire plus sans ruiner la savante progression mise au point par Vann. Sachez simplement que le gentil conte social, saturé tout à coup d’une incroyable violence psychologique, devient un récit du dysfonctionnement familial et du sadisme dans lequel l’auteur scrute la relation mère-fille et l’omnipotence des parents. « Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière, et c’est ce monde-là qu’on connaît ensuite, pour toujours. » Pour autant, malgré cette culmination de violence, Vann revient finalement dans le schéma du conte et conclut même sur une note d’optimisme. Aquarium se résout ainsi en roman du pardon, voire du double pardon – pardon de Sheri à son père, pardon de Caitlin à Sheri. Abandonnant la question du crime originel et de la pulsion de meurtre qui le hantaient, Vann inaugure peut-être avec Aquarium un nouveau cycle dans son œuvre. Sous le signe, cette fois, de la rédemption.
« Aquarium »
de David Vann, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Derajinski (Gallmeister, 280 p.)