« We Are Coming, chronique d’une révolution féministe » de Nina Faure, ode à la jouissance

Pendant dix ans, la documentariste Nina Faure a filmé les métamorphoses de la lutte féministe, à travers des archives personnelles et des commentaires sur les soubresauts de notre époque.


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Le « Grand Soir » du féminisme arrivera-t-il un jour ? C’est l’inépuisable question que Nina Faure pose – sans la résoudre, et c’est tant mieux – dans ce documentaire foisonnant, aux ramifications infinies, qui jette un regard rétrospectif sur dix ans de militantisme. La réalisatrice, connue pour ses travaux documentaires sur les violences gynécologiques (Dans ta boîtePaye (pas) ton gynéco) ouvre justement sa réflexion sur un tabou corporel : pourquoi les femmes jouissent-t-elles moins que les hommes ? Avec ses colocs, ses amies, puis au sein de groupes de parole libérateurs, Nina Faure détricote cet impensé du plaisir féminin, pour remonter à ses racines politiques : la méconnaissance de l’anatomie clitoridienne, la négation du consentement, la peur de voir l’autre trouver une forme d’indépendance jusqu’ici niée par la société jaillissent comme autant de conséquences de l’hégémonie masculine.

Delphine Seyrig et Carole Roussopoulos, caméra au poing

La pertinence et l’actualité de ce récit d’émancipation collectif se loge, étrangement, dans ses anachronismes, ses désuétudes. Nina Faure a débuté son périple féministe il y a presque dix ans, et a choisi de conserver au montage, comme pour mémoriser les germes d’une révolte à venir, les archives des débuts. Certaines idées, qui circulent aujourd’hui largement dans le débat public (la charge mentale et sexuelle des femmes, évoquée dans le documentaire par la journaliste Clémentine Gallot, la « pensée straight » telle que théorisée par Monique Wittig dans son ouvrage du même nom paru en 1992) étaient à l’époque plus confidentielles.

Autant de constats balbutiants qui se cognent à des épisodes plus récents – l’affaire Denis Beaupin, évoquée au détour d’un récit glaçant de Sandrine Rousseau sur l’impunité, la déferlante #MeToo, le départ d’Adèle Haenel lors du sacre de Polanski aux César 2020… -, commentés par Nina Faure avec une grande acuité, un humour ludique. Cet écart temporel ouvre une béance dans notre propre représentation des luttes féministes : la décennie passée a à la fois été d’une rapidité foudroyante en terme d’avancées, mais aussi d’une grande violence – un backlash sexiste dans les médias, la résurgence de mouvements masculinistes mis en lumière par le procès Johnny Depp/Amber Heard… De ce commentaire foisonnant sur notre époque, appel à la révolte autant qu’archive historique, émerge une injonction évidente : le progrès se forge dans le rire et la sororité.

We Are Coming de Nina Faure, 1h27, Les Films des Deux Rives, sortie le 22 mars

Image (c) LES FILMS DES DEUX RIVES