Comme Les Apaches, et sa bande d’ados de Porto-Vecchio qui s’auto anéantissait à petits feux, Une vie violente (à la Semaine de la Critique) est un film sombre et mystérieux qui, malgré son ampleur (une fresque qui s’étend des années 1990 aux années 2000, et mêle aux questions politiques et historiques une galerie foisonnante de portraits), suit des méandres très intimes. Il y est question de l’intimité du cinéaste d’abord, qui raconte ici sa génération (il est né en 1970), prise qu’elle le veuille ou non dans la guerre fratricide opposant deux courants du nationalisme corse (en gros, les indépendantistes très politisés d’un côté, et les criminels mafieux de l’autre). Celle du héros, nationaliste intello tiraillé entre militantisme et banditisme qui, exilé à Paris pour fuir des menaces de mort, revient sur l’île pour enterrer un de ses amis, précipitant le film dans un dédale viscéral de souvenirs enchâssés.
Le film est surtout une radiographie intime et profonde de la Corse : les tensions politiques et criminelles qui la rongent, mais aussi son histoire, transmise des plus anciens aux plus jeunes au fil de récits exaltant misère et grandeur, et le poids de la fatalité qui semble peser sur chaque chose (rancœurs, vengeances, liens du sang et de l’honneur). Écrasée par la chaleur, l’île de beauté est filmée comme un territoire clos et replié sur lui-même – le maquis dense et tortueux, les champs d’oliviers escarpés plutôt que le littoral, qu’on ne voit jamais, à l’exception d’un plan frappant dans lequel la mer forme derrière un des personnages un mur qui le surplombe. Pourtant, le film dégage une beauté époustouflante, grâce à ses jeunes acteurs, tous sublimes, et à sa façon de faire exister, face à la violence morbide (exécutions sommaires, intimidations), de purs moments de grâce, fragile et suspendue – confidences entre amis, lecture et musique, histoires de cœur et amour familial-, qui confèrent à ces héros damnés une vitalité et une énergie solaires.