Comme il est difficile de cerner le charme singulier des mots, des mélodies et de la voix de Barbara, il est tout aussi périlleux de résumer la beauté vénéneuse et entêtante de son étrange biopic. C’est peut-être la preuve la plus éclatante de la réussite de l’entreprise osée de Mathieu Amalric. Refusant intelligemment de céder à l’hagiographie cinématographique convenue, l’acteur-réalisateur compose une élégie très moderne, une succession d’instants, une somme de pointillés qui dessinent de façon impressionniste la silhouette complexe et mystérieuse de la chanteuse.
Car, comme le démontre brillamment le film, Barbara est en soi un personnage, un masque à enfiler, un costume à porter qui permet à la femme meurtrie de devenir l’insolente amoureuse des mots et de la musique. Pour ce faire, Amalric construit un dispositif habile, une sorte de film dans le film où une actrice (Jeanne Balibar) joue à être Barbara. On craint la distanciation pénible pour éviter toute émotion. C’est tout l’inverse. Entremêlant les images d’archive, le travail de reconstitution et la fiction du tournage, Amalric aboutit à un film composite, totalement charnel et sensoriel.
Une forme de poésie très personnelle, de jeu de cache-cache entre le vrai et le faux, qui épouse parfaitement la légèreté feinte et la gravité redoutable de ses chansons. Phénoménale, Jeanne Balibar habite le film avec une ironie douce et une grâce désarmante. Autant Balibar que Barbara, elle se fond dans le personnage, s’en détache ou s’en amuse et semble soudain l’étreindre littéralement à l’écran dans des séquences troublantes où « l’originale » et la copie se mêlent. A l’instar de La Chambre Bleue mais surtout de Tournée, le regard d’Amalric est ici plus onirique que jamais, quasi ésotérique. Barbara est une ode amoureuse à un fantôme, une sublime séance de spiritisme musicale et cinématographique.