
À bien des égards, The Last Showgirl a des allures de compte à rebours. Il y a d’abord celui du Razzle Dazzle, un spectacle de cabaret à Las Vegas, qui, après trente ans d’activité, s’apprête à donner sa dernière représentation. Mais l’horloge tourne aussi pour Shelly, l’héroïne du film et la doyenne de la troupe : sur le point de perdre son emploi de danseuse, la quinquagénaire sait qu’il lui sera difficile de rebondir. Quant à Annette, sa meilleure amie, serveuse dans un casino, elle a de moins en moins la cote au travail, et pas de retraite en vue.
À travers leur parcours et leur lutte pour conserver leur place sous les spotlights, c’est toute l’histoire de l’industrie du cinéma et de son sexisme que nous raconte ici Gia Coppola. Car il est évident qu’à Las Vegas comme à Hollywood les femmes âgées ne sont pas les bienvenues. « Je trouve fou d’avoir été celle qui était sur scène toutes ces années, celle que les gens venaient voir, celle sur l’affiche », tempête Shelly lors d’une conversation avec Eddy, le régisseur du Razzle Dazzle.
De disparaître, néanmoins, il n’est pas question. Pendant une heure et demie, Gia Coppola filme ses héroïnes vieillissantes sous tous les angles et dans toutes les tenues possibles : à la maison en jogging, en robe fourreau pour un date, sur scène en costume à plume, en string dans les vestiaires…
Shelly et Annette ne ressemblent en rien aux jeunes premières que l’on voit habituellement dans les films sur Las Vegas – Nomi, l’héroïne sulfureuse de Showgirls (Paul Verhoeven, 1996) ; Lucy, l’artiste naïve de Las Vegas Parano (Terry Gilliam, 1998) ; Ginger, la luxueuse call-girl de Casino (Martin Scorsese, 1996) –, mais elles ont bien l’intention de prendre toute la place qu’on voudra bien leur laisser.
Pour leur donner vie, Gia Coppola a choisi Pamela Anderson et Jamie Lee Curtis, deux actrices aux carrières en dents de scie, désormais âgées de 57 et 66 ans. Un casting qui a des allures de révolution, quand on se rappelle qu’en 1996, à seulement 37 ans, Sharon Stone, la star de Casino et sex-symbol mondial, déclarait à propos de son succès et de son Golden Globe reçu pour son rôle : « Dieu merci […] Je ne rajeunis pas, mais ça n’aurait pas pu se produire à un meilleur moment. »
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60 ANS SINON RIEN
The Last Showgirl n’est pas le seul film à faire la part belle aux actrices plus âgées. Depuis quelques années déjà, ces dernières opèrent un come-back remarqué à Hollywood, au point que l’on parle aujourd’hui d’une « Renaissance des actrices vieillissantes ». À l’origine de cette tendance, il y a d’abord le succès de séries comme Grace and Frankie, avec Jane Fonda et Lily Tomlin, deux stars de 87 et 85 ans, ou celui de The White Lotus, porté par l’excellente Jennifer Coolidge. En 2023, contre toute attente, cette dernière décroche à 61 ans son premier Golden Globe pour son rôle dans la série, à la suite d’une carrière faite d’apparitions dans des comédies comme American Pie (Paul et Chris Weitz, 1999) ou La Revanche d’une blonde (Robert Luketic, 2001).

La même année, Michelle Yeoh et Jamie Lee Curtis (encore elle), âgées de 60 et 64 ans, remportent à leur tour un Oscar, le premier de leur carrière respective, pour le film Everything Everywhere All at Once (Daniel Scheinert et Daniel Kwan, 2023). Le ton est donné : être vieille est de nouveau autorisé.
Dans le sillage de leur succès, les résurrections de stars que l’on ne pensait plus revoir se multiplient. Angelina Jolie dans Maria (Pablo Larraín, 2025), Isabella Rossellini dans Conclave (Edward Berger, 2024), Demi Moore dans The Substance (Coralie Fargeat, 2024)…Après des années à évincer gentiment les femmes une fois la quarantaine passée, le cinéma n’en finit plus de redécouvrir ses grandes actrices oubliées.
Conscientes de leur chance, ces dernières expriment souvent une émotion douce-amère face à ces occasions tardives. « J’avais de si grands rêves et espoirs quand j’étais plus jeune », déclarait Jennifer Coolidge sur la scène des Golden Globes en 2023. « Et puis vous vieillissez et vous vous dites : “Merde, rien de tout ça ne va arriver maintenant.” Mike White [le créateur de The White Lotus, ndlr], tu m’as donné de l’espoir et tu m’as donné un nouveau commencement. » « Mesdames, ne laissez jamais personne vous dire que vous avez dépassé votre prime [la fleur de l’âge, ndlr] », assénait également Michelle Yeoh, statuette en main.
MOURIR SUR SCÈNE ?
En réalité, l’obsession du cinéma pour ses étoiles vieillissantes n’est pas nouvelle. Avant The Last Showgirl, il y a d’abord eu Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, en 1951, où Gloria Swanson incarnait Norma Desmond, une ex-actrice du cinéma muet tombée dans l’oubli qui bascule dans la folie à force de rêver de son retour sur scène. Un rôle qui rappelait étrangement la véritable carrière de Swanson, ancienne vedette éclipsée par le cinéma parlant et retraitée depuis des années.

BOULEVARD DU CREPUSCULE (SUNSET BOULEVARD) de Billy Wilder (1950)
En 1963, Bette Davis lui fait écho dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich, où, à 55 ans et sur le déclin, elle tient le rôle d’une ancienne enfant star désormais alcoolique, violente et rongée par la rancœur. Après un passage à vide dans les années 2000, Winona Ryder se prêtera elle aussi au jeu en 2010 avec Black Swan de Darren Aronofsky, dans lequel elle incarne une danseuse étoile de 40 ans qui se jette sous les roues d’une voiture après avoir été remplacée par une ballerine plus jeune. « Que faire avec une icône ? » a-t-on demandé à l’actrice Isabella Rossellini lorsque, à son tour, elle a atteint la quarantaine et n’a plus réussi à décrocher de rôles.

La réponse à cette question, Hollywood l’a trouvée il y a bien longtemps : se repaître de leur chute. Les films mettant en scène la descente aux enfers d’une diva vieillissante sont si nombreux qu’ils ont donné naissance au terme d’« hagsploitation », soit, littéralement, « l’exploitation des vieilles peaux ». Sous prétexte de redonner sa chance à une star oubliée, voire de dénoncer l’âgisme de l’industrie du divertissement, ce phénomène alimente en réalité un archétype sexiste et durable, qui assimile les quinquagénaires à des harpies dangereuses, obsédées par l’idée de rester jeunes.
Un rôle humiliant pour des actrices autrefois prises au sérieux, mais qui semble être le seul dans lequel le public accepte désormais de les voir ; des années avant Demi Moore et Jennifer Coolidge, leurs performances de mégères inquiétantes ont elles aussi permis à Gloria Swanson et Bette Davis de décrocher une nomination pour un Oscar.
UNE FEMME COMME LES AUTRES
Dans The Last Showgirl, le spectre de cette hagsploitation pointe parfois le bout de son nez, et on craint le pire. « Je suis plus vieille que vous, mais je ne suis pas “vieille” », s’exclame Shelly au début du film face à ses collègues de 20 ans. Comme Norma et Baby Jane avant elle, le personnage de Pamela Anderson s’enferme dans l’illusion douloureuse qu’elle peut poursuivre sa carrière artistique, quand bien même il est évident que ses jours de gloire sont derrière elle (« Tu as été embauchée parce que tu étais sexy et jeune […] et ce n’est plus ce que tu nous vends maintenant, bébé », lui balance crûment un producteur).
Néanmoins, Gia Coppola rompt avec le récit habituel de la mort d’une étoile. Si la fierté des héroïnes prend parfois un coup, le film refuse catégoriquement d’exploiter leur malheur ou de les enfermer dans le rôle passif d’une victime. En filmant leurs doutes, leur joie et leur colère, The Last Showgirl ouvre la voie à des personnages féminins âgés plus complexes, dont le rêve n’est pas de rajeunir, mais simplement de rester dignes. « J’ai 57 ans, et je suis belle, connard », assène Shelly au producteur qui l’envoie paître, avant de retourner briller une dernière fois sur la scène qu’elle aime, entourée de ses amies.
Quant à Jamie Lee Curtis, elle improvise une scène de danse aussi tragique qu’éblouissante sur « Total Eclipse of the Heart », comme un anti-chant du cygne et un pied de nez aux standards de beauté. « Vieillir, ce n’est pas pour les mauviettes », aurait déclaré Bette Davis à un journaliste. Pour Pamela Anderson, en tout cas, c’est surtout le début de l’optimisme, et on a envie d’y croire. « J’ai toujours su que j’étais capable de plus », confiait-elle en janvier dans le podcast Q with Tom Power. « Quand on pense que c’est la fin, c’est en fait le début […] Je crois que ma carrière vient de commencer. »