Depuis un peu plus d’une décennie, la réalisatrice, actrice et scénariste Valérie Donzelli (La Guerre est déclarée, Notre dame) construit une œuvre singulière, mélangeant envolées musicales, romances contrariées et drames plus âpres et resserrés. Alors qu’on entame le « déconfinement », on était curieux de savoir comment cette Parisienne d’adoption avait vécu cette période d’immobilisme, et comment elle envisageait l’après.
Vous avez réussi à écrire, à travailler pendant cette période étrange ?
Au moment de l’annonce du confinement, je démarrais un nouveau projet de série et tout s’est arrêté alors que j’avais le pied sur l’accélérateur. C’était assez violent. On aurait dû tourner à la rentrée, mais tout a été repoussé. Depuis, on est dans le flou total. Mais maintenant, j’accepte de subir les choses. Je me sens un peu résignée, quoi. Au début du confinement, on a fait une sorte de journal intime filmé, un film documentaire en fait, avec ma monteuse et amie Pauline. On s’est beaucoup soutenues grâce à ça, c’était comme un réflexe de survie. Je ne sais pas du tout ce que ça va devenir. Mais ce que je trouve intéressant et inspirant avec le confinement, c’est qu’on s’est tous retrouvés confinés avec nos vies. On ne peut pas faire l’économie des choix qu’on a faits. Moi, j’ai trois enfants, une famille recomposée… Je me suis retrouvée face à moi-même à me demander : « Qu’est-ce que j’ai construit ? Où j’en suis ? »
Est-ce que l’annonce, faite par le gouvernement la semaine dernière, de la prolongation des droits pour les intermittents et les aides pour les tournages arrêtés vous a rassurée ?
Non. Je ne me suis pas précisément penchée sur la question pour avoir un avis définitif, mais je n’ai pas l’impression qu’il y ait de politique culturelle constructive. Qu’est-ce que ça veut dire d’appeler les artistes et techniciens à intervenir dans les écoles ? On n’est pas des VRP. Je trouve ça presque irrespectueux. Pour créer des choses, il faut avoir du temps et l’esprit libre. Et pour le cinéma, je suis vachement inquiète. Qu’est-ce que ça va être de faire un film dans la situation actuelle ? Le cinéma, c’est collectif, c’est être collé aux autres. C’est faire un plan à dix dans une petite pièce. C’est pas être à un mètre de distance les uns des autres !
Où étiez-vous à l’annonce du confinement ?
J’étais chez moi, à Paris, avec mes enfants et mon conjoint. J’ai suivi l’annonce à la télévision et j’ai trouvé que c’était solennel comme moment. Je me souviens que Macron avait utilisé quatre ou cinq fois le mot « guerre » dans son discours. Je me disais : « bon, il n’a pas l’air de paniquer ». Et en même temps on sentait qu’il jubilait un peu de cette situation catastrophe, qu’il jouissait de son rôle de président, que c’était son fantasme de se retrouver à la tête d’un pays « en guerre », et que ce n’était pas complètement cohérent avec le moment qu’on vivait.
« J’ai exprimé par l’écriture toute mon angoisse. »
Dans votre dernier film, Notre dame, vous filmez amoureusement Paris, son agitation, ses monuments… Quelle perception avez-vous de la capitale en ce moment ?
Ça m’arrache le cœur de le dire, mais vivre à Paris est de plus en plus dur, c’est d’une violence sociale insupportable. J’habite aux Halles, un quartier qui d’habitude ne s’arrête jamais. C’est le temple de la consommation. Donc, dans un premier temps, ça m’a fait du bien de le voir se vider. Mais assez vite, j’ai trouvé ça très hostile, en fait. Sortir était angoissant, on avait l’impression qu’on allait choper le virus rien qu’en foutant un pied dehors. Maintenant, le bruit, les voitures, la pollution sont revenus. Et j’ai l’impression que, même s’il y a une prise de conscience collective sur l’écologie et la surconsommation, les gens vont se réhabituer à tout. En réalité, j’en viens à appréhender le déconfinement.
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Vous pensez qu’on tirera des leçons de la crise ?
Franchement, je ne sais pas. Ce que je peux espérer, c’est qu’on devienne moins consuméristes. En écoutant la radio récemment, j’ai entendu Thomas Piketty parler des effets possibles de la crise que nous vivons. Il expliquait, en gros, que cette pandémie nous obligerait à prendre en compte la pauvreté. L’économie s’est arrêtée, les riches ont un manque à gagner donc ils ont intérêt à ce que les choses s’améliorent. Son discours m’a fait du bien.
On connaît votre amour pour le cinéma de Jacques Tati ou de Buster Keaton. Le monde tel qu’il est devenu a-t-il selon vous un potentiel burlesque, comique ?
Oui, forcément, un monde comme celui-là m’inspirera des situations comiques. Par exemple, des personnages qui se parlent sans bien s’entendre à cause de leurs masques. L’autre jour, une très bonne amie à moi, qui a des problèmes de vue, m’a confié que ça l’ennuyait qu’on ne voie que ses yeux. C’est vrai que le masque met vachement en valeur cette partie du visage. Du coup, j’ai commencé à imaginer un type au regard un peu bête qui serait obligé d’en porter un. J’ai écrit quelques scènes de comédie là-dessus. En fait, j’ai exprimé par l’écriture toute mon angoisse.
Photographie : © Julien Lienard