À la fois dérangeant et fascinant, ce court-métrage réalisé en 1967 nous immisce dans la salle de bain d’un new-yorkais qui a la lame facile.
Dans sa salle de bain, un jeune homme s’apprête à se raser, au son de la balade jazz « I Can’t Get Started » de Bunny Berigan, qui remonte à 1937. Ce rituel banal et quotidien vire au bain de sang : avec la lame de son rasoir, l’homme commence à couper tout son visage, au point de remplir la baignoire d’hémoglobine…Tourné en 1967 à New-York, ce court-métrage d’environ 5 minutes contient en germe certains ingrédients qui feront le sel du cinéma de Martin Scorsese (les scènes de violence muettes, le goût du cinéaste pour le sang qui gicle).
Dans la veine des expérimentations surréalistes d’un Luis Buñuel – difficile de ne pas penser à l’oeil coupé d’Un chien andalou -, le court-métrage repousse dans un geste provocateur et par un montage incisif nos propres limites. En un laps de temps aussi court, le spectateur se demande quand même jusqu’à quand il acceptera d’assister à cette séquence d’automutilation mise en scène avec une précision, une méticulosité aussi glaçante.
Plus symboliquement, beaucoup ont été tentés d’y voir, alors que le film a été réalisé en pleine guerre du Viêt-Nam, une critique de la politique américaine, le crédit du générique final ne laissant à ce sujet que peu de doutes puisqu’il se finit sur les mots « Viet’67 ». Réponse de l’intéressé dans la biographie Martin Scorsese: A Biography de Vincent LoBrutto : « Consciemment, ce film était un cri de colère contre la guerre. Mais je pense qu’en vérité quelque chose d’autre se passait en moi qui n’avait rien à voir avec la guerre. C’était une très mauvaise période de ma vie, une très mauvaise période. »
Reste l’impression étrange de voir la figure du mâle occidental, avec tout son attirail cosmétique, profondément mise à mal – une façon pour le réalisateur d’exprimer en miroir sa rage intime, comme il le laisse entendre ? On vous laisse décider :