Parce qu’il est absurde mais pas complètement idiot d’enfermer le cinéma dans des tops, la rédaction de TROISCOULEURS vous livre les classements les plus insensés du septième art. Aujourd’hui : les amis imaginaires.
Shining, Stanley Kubrick (1980)
Son petit doigt le lui a dit. Danny l’a écouté et a vu sa vie être sauvée d’une mort des mains de son propre père Jack Torrance. Cette petite voix intérieure n’est autre que Tony qui envoie des visions d’horreur à Danny et lui dicte notamment d’inscrire « Redrum » (« murder » si on le lit dans un miroir) pour prévenir Wendy, sa mère, d’un danger imminent. En l’occurrence la folie meurtrière de Jack. Le fameux Tony est donc loin d’être un simple ami imaginaire qui adoucit la solitude de l’enfant unique et différent. Il est plutôt une boussole interne, un don surnaturel qui fait que Danny, sans en être conscient, sait où est le mal. Tony est le Shining.
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
Seul devant son miroir, Danny bouge son petit doigt et dialogue avec une voix nasillarde, celle de Tony. La caméra zoome jusqu’à n’avoir, dans le cadre, plus que le reflet de l’enfant. D’un coup, la peur change radicalement son expression et ses yeux deviennent exorbités. Tony lui envoie un flash : une vague de sang déferle depuis l’ascenseur. Quelque chose va mal se passer.
–> A lire aussi notre top absurde des 6 plus grandes flaques d’eau de l’histoire du cinéma
Donnie Darko, Richard Kelly (2001)
On a tous un ami dont on ne se sait pas vraiment s’il nous veut du bien. Pour Donnie Darko (Jake Gyllenhaal), un schizophrène paranoïaque symbolisant une jeunesse peu à l’aise dans son époque, c’est plus ou moins pareil. Sauf que là, il s’agit d’un lapin humanoïde prédisant la fin du monde dans un peu plus de 28 jours. Il ordonne à Donnie d’effectuer plusieurs actes de destruction qui redonneront un sens à sa vie. Frank (le lapin) est certes un oiseau de mauvaise augure mais aussi, et surtout, l’éveil de la conscience de Donnie : le monde n’est pas que fatalité, il peut agir pour reprendre le contrôle.
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
La scène du cinéma est absolument essentielle pour tenter de comprendre l’insoluble Donnie Darko. Assis devant un film avec sa copine endormie, ce dernier voit Frank débarquer pour lui montrer un portail spatio-temporel. Mais il s’agit surtout du moment où le lapin retire son masque sur demande de Donnie et révèle son identité. Acte qui prendra tout son sens lors du dénouement final dont on ne vous dira rien (n’insistez pas).
Gainsbourg (vie héroïque), Joann Sfar (2010)
Sur le papier, Serge Gainsbourg est le personnage parfait pour un biopic. Mais son génie outrancier rend cette mission impossible. Trop sulfureux, trop brillant, trop torturé. Joann Sfar a su contourner cette difficulté avec une redoutable idée : séparer en deux la personnalité du musicien, comme ce dernier l’avait fait de son vivant. D’un côté, le poète dandy Gainsbourg (Éric Elmosnino). De l’autre, le roi de l’autodestruction Gainsbarre (La Gueule, un grand guignol aux oreilles difformes et au nez disproportionné qui le ronge de l’intérieur). En résulte une savoureuse déambulation presque schizophrène dans l’art, les tumultueuses histoires d’amour et les conflits psychologiques de l’interprète de « La Javanaise ».
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
Ou plutôt une mélodie jazzy : « Elaeudanla Teïtéïa », chantée d’une voix timide par Gainsbourg. Avant que ne surgisse dans le cadre La Gueule comme s’il sortait directement de sa tête. Ils (l’humain et le génie) jouent à quatre mains la chanson « Laetitia ». A la fin du morceau, Gainsbarre, préférant l’argent à l’intégrité artistique, suggère à Gainsbourg d’écrire pour Johnny Hallyday. Ce dernier rétorque : « Plutôt crever ! » Tout est résumé.
Her, Spike Jonze (2013)
Avec Max et les Maximonstres (2009), Spike Jonze s’était déjà essayé à la métaphore de l’ami imaginaire comme refuge pour ceux qui cherchent leur place dans une époque qui ne leur correspond pas. Il récidive avec encore plus de délicatesse dans Her, chronique d’un proche futur, à la fois pastel et désenchanté, où Theodore Twombly (Joaquin Phoenix), traînant son spleen dans un Los Angeles ultra-connecté depuis un récent divorce, vit une histoire d’amour avec Samantha (Scarlett Johansson), une intelligence artificielle. Cette sublime dystopie romantique laisse alors deux questions en suspens : peut-on aimer une personne qui n’a pas de corps ? La technologie n’est-elle qu’un placebo censé compenser l’inexorable solitude des individus ?
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
Spike Jonze réussit une vraie prouesse avec une scène d’amour qui n’en est pas une. De cet impossible contact physique entre un humain et une intelligence artificielle, le réalisateur fait jaillir un moment inégalé de douceur, de sensualité et d’érotisme simplement grâce aux voix de ses acteurs.
Le Daim, Quentin Dupieux (2019)
Cet ami là n’est pas totalement imaginaire : on peut le voir, le toucher, le sentir et même lui parler si on veut. Et d’ailleurs Georges (Jean Dujardin) ne s’en prive pas. Fraîchement largué, il tombe raide dingue de son blouson 100% daim qui lui donne « un style de malade ». Mais plus qu’un ami, il trouve là son âme-sœur pour laquelle il est prêt à se saper entièrement en daim jusqu’à commettre quelques petits meurtres façon snuff movies (une idée morbide que lui a soufflé cette veste démoniaque, qui ambitionne d’être la dernière sur Terre). Puisque rien ne semble ici réellement impossible (contrairement à certains pans entiers de la filmo du cinéaste comme Rubber, slasher improbable avec un pneu meurtrier), avec cet ami imaginaire, Quentin Dupieux repousse en fait les limites de la rationalité : est-ce vraiment de l’amour, de la folie ou alors les deux ?
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
On sentait dès le début que Georges n’était pas très net. Mais on en a vraiment été convaincu quand on a vu son regard fiévreux et inquiétant contempler son reflet dans le miroir avec le blouson 100% daim.
Fight Club, David Fincher (1999)
ATTENTION SPOILERS
Ne pas inclure Fight Club dans ce top aurait relevé de la faute professionnelle tant le film de David Fincher a imprimé les rétines des spectateurs de son époque avec son histoire d’ami imaginaire qui se révèle dans un magnifique twist final. Il s’agit du survolté Tyler Durden, gueule d’ange (Brad Pitt oblige) qui traîne ses obscénités dans des clubs de combats clandestins qu’il anime. Tout ce que le Narrateur (qui n’est pas doté d’un nom), joué par Edward Norton, n’a pas le courage d’être, enfermé dans sa vie morne de cadre asservi à la société de consommation. Un pendant dark qui redonne un peu de sens et piment à une existence morose. Mais aussi un double qu’il lui faudra tuer pour renaître.
➡️ Et si on devait ne retenir qu’une scène ?
D’un simple mouvement de caméra, David Fincher glisse dès le début de son film un indice sur l’identité de Tyler lors de la rencontre de ses deux protagonistes, assis l’un à côté de l’autre dans l’avion. Parfaitement dissimulé dans le plan par la tête d’Edward Norton, il faut un léger travelling pour que Brad Pitt apparaisse : Tyler sort de l’esprit du Narrateur.
Image : Donnie Darko de Richard Kelly – © 2001 Newmarket Films