Ce cottage anglais servait aussi d’espace de création pour les amis du cinéaste, et devrait continuer à exister comme un sanctuaire artistique si la campagne réussit.
Passer une nuit dans la mythique maison de Bella Swan (lycéenne introvertie de Twilight jouée par Kristen Stewart, pour ceux qui nieraient encore avoir lu et vu la célèbre saga vampirique), tel était notre objectif quand on a su que la plateforme Airbnb proposait ce service pour la modique somme de 330 $ par nuit. Changement de projet immobilier. On apprend via une dépêche CNN qu’Art Fund, organisation caritative britannique de collecte de fonds pour l’art, lance un appel public pour sauver le cottage de pêcheur du cinéaste et plasticien Derek Jarman, artiste composite et queer -dont on a exploré l’oeuvre picturale à la fois théâtrale et torturée dans un portfolio dispo juste ici. L’objectif de la collecte de fonds est fixé 3,5 millions de livres d’ici mars 2020, et un peu moins de 50 % de la somme a déjà été collectée grâce à des dons privés.
Pourquoi investir dans la réhabilitation de cette maison plutôt que dans une cuisine IKEA flambant neuve pour votre 15 m2 parisien? Parce que ce lieu au charme fou, éthéré et mélancolique, a une histoire un peu particulière, que cette nouvelle nous donne l’occasion de raconter. En 1986, lors d’une chasse aux jacinthes des bois, accompagné de Tilda Swinton -son amie et égérie qu’il fit jouer notamment dans Caravaggio et The Last of England-, Derek Jarman tombe amoureux du paysage côtier désolé du Sud de l’Angleterre, et achète cette maison bleue aux fenêtres jaunes. Vers la fin de sa vie, le cinéaste se sait condamné par le sida (qui l’emportera en 1994) et se consacre entièrement à l’entretien de la parcelle sauvage qui entoure cette maison.
Un faux jardin à l’anglaise, assez organisé pour donner le sentiment d’une architecture maîtrisée, mais pas assez symétrique pour véritablement dompter la nature qui menace d’y reprendre ses droits. Située face à la centrale nucléaire de Dungeness dans le Kent, la maison fait fièrement face à la mer, noyée sous la végétation et les galets gris, entourée de vieux outils, de sculptures abandonnées, de plantes inconnues : un Eden qui ressemble au travail expérimental de l’artiste, traduit son goût anarchique pour les collages hybrides, les formes abstraites et mentales. En 2003, Derek Jarman immortalise ce coin de paradis dans Un dernier jardin, texte bucolique illustré des photographies de Howard Sooley dans lequel le cinéaste livre ses secrets d’horticulteur-poète et témoigne de sa quête d’apaisement à travers la nature: « Le Paradis hante les jardins, et il hante le mien. »
Toujours pas convaincus de sortir le porte-monnaie? Dommage, parce que ceux qui participeront à cette campagne publique pourront recevoir des œuvres d’artistes tels que Michael Craig-Martin, Tacita Dean, Jeremy Deller, Isaac Julien, Howard Sooley. Cette maison qui servait aussi de centre de création à Jarman et ses amis constitue une banque d’archives impressionnante, qu’il faut continuer à faire vivre en tant que résidence d’artiste.
Après avoir acheté le cottage, Jarman en a fait un atelier pour lui-même et ses collaborateurs. « Prospect cottage est rapidement devenu une source de réconfort et d’inspiration intense, une sorte de sanctuaire mais aussi un lieu de grande sociabilité pour ses amis et collaborateurs. Plus de 25 ans plus tard, le jardin a survécu et le cottage est toujours rempli d’œuvres d’art de Jarman et de ses amis et admirateurs, dont Maggi Hambling, John Maybury, Gus van Sant, Richard Hamilton et d’autres », explique Stephen Deuchar, directeur du fond artistique. Dernier argument de taille: Tilda Swinton fait tout pour promouvoir la campagne (photo à l’appui ci-dessous). Si vous y participez, rendez-vous aux bords des falaises anglaises pour discuter art contemporain et visiter le jardin en sa compagnie.
Image: Copyright Jane Shankster/Arthur Road Landscapes