- Article
- 5 min
Thomas Scimeca aime bien jouer les mecs un peu cons
- Raphaëlle Simon
- 2016-12-01
Comment tu es tombé dans l’impro ?
J’ai d’abord fait le conservatoire, mais les méthodes ne me convenaient pas toujours. Par exemple Jacques Lasalle, un de nos profs, était très old school dans sa manière de travailler, très directif. Il avait cette vieille idée de l’emploi, selon laquelle en fonction de ton physique et de ce que tu dégages a priori on t’étiquette dans un rôle : le valet, le jeune premier… En l’occurrence, il m’avait catégorisé dans les jeunes premiers, alors que j’avais plutôt envie de jouer des rôles tragiques comme Hamlet ou très drôles comme Sganarelle… Bon, en tous cas, je me plaisais pas trop au conservatoire, et j’ai rencontré Yves-Noël Genod, dont l’approche me convenait beaucoup mieux. J’ai bossé sur ses spectacles qui mêlent théâtre, danse et impro pendant plusieurs années, et puis Jean Christophe Meurisse m’a repéré et m’a amené dans sa troupe d’impro, les Chiens de Navarre. C’est une toute autre dynamique qu’au Conservatoire : Jean-Christophe, il part de l’acteur pour fabriquer un personnage, il nous laisse improviser sur une idée de personnage qu’on propose nous-mêmes, et il nous dirige très peu, il nous aide surtout à placer le curseur.
Tu t’es intégré facilement dans cette troupe complètement barrée ?
C’était pas évident au début, j’ai failli partir. C’est une troupe avec des personnalités très fortes, très différentes, qui commençait à avoir un peu de succès, et puis ils se connaissaient depuis cinq ans, voire plus, donc il y a eu un temps d’adaptation, j’étais pas très à l’aise. Et puis il y a eu une séance d’impro où ça a basculé. Jean-Christophe voulait qu’on improvise une fin à son spectacle Raclette – c’est un diner pendant lequel on ne dit que des poncifs, en devenant vieux petit à petit. Il nous avait donné des masques de vieux, des trucs très réalistes, hyper effrayants, à enfiler discrètement, mais il savait pas trop quoi faire avec. J’ai proposé une partouze géante. Je sentais que tout le monde était un peu hésitant, je me suis débraillé et finalement, les autres ont suivi et on a mimé une grosse partouze. Il y avait les masques, ça aidait. Et c’est devenu le final du spectacle.
Donc c’est toi qui as introduit la touche exhibo chez les Chiens de Navarre ?
Ils avaient un peu abordé la nudité avant, mais pas aussi franchement. Après ça Jean-Christophe n’en a plus démordu, dans tous ses spectacles, il faut qu’il y ait un mec qui fasse le con tout nu.
Même dans Apnée, on n’y échappe pas : vous faites du patin à glace tout nus, vous parlez de vos trips sexuels, limite scatos, tous les trois dans une baignoire. C’est quoi l’effet recherché, bousculer un peu les gens ?
Oui enfin dans la baignoire on voit presque rien. C’est vrai que c’est devenu un gimmick, ce moment où on déconne avec la nudité. Mais c’est jamais sérieux, l’idée c’est surtout de désacraliser le corps, le nu, le sexe, d’en faire quelque chose de drôle ou un peu provocant. Au théâtre, il y a des spectateurs qui sortent parfois. Surtout quand il y a des scolaires…
Ça a été compliqué d’adapter l’esprit de la troupe au cinéma pour Apnée, de mettre votre énergie punk et débridée dans une boite?
On s’est un peu adaptés, on a baissé un peu le curseur dans le jeu, dans le côté burlesque et grossier qui peut sonner trop artificiel au cinéma. Mais ça reste la même approche, l’idée c’était justement de se rapprocher au maximum de notre méthode de travail sur les Chiens de Navarre. On a travaillé en amont pour savoir ce qu’on allait raconter, une journée par séquence, mais trois mois avant le tournage, pour garder l’impression de spontanéité et d’improvisation. Jean-Christophe voulait s’affranchir des codes du cinéma – c’est d’ailleurs pour certains la limite du film. On tournait avec deux caméras sans marque au sol, il y avait grande liberté dans le cadre, et dans notre jeu aussi, on tournait les scènes sans couper pendant 20 – 30 minutes.
Dans Apnée, comme dans vos spectacles, vous jouez sur ambiguïté entre vos personnages et vous-mêmes.
Oui, on garde nos noms, nos voix – sur scène on joue avec des micros HF pour éviter de faire porter la voix et être dans un jeu pas trop théâtral, on est assez proche d’un jeu cinéma. On joue sur la confusion entre notre personnage et nous-mêmes, le jeu et la réalité. Moi par exemple, ça m’amuse de jouer les naïfs, les maladroits, les mecs un peu cons, et que les gens se demandent : « Il joue un personnage ou il est vraiment idiot ? » On a tous nos figures, Maxence c’est la méchanceté, le côté pince sans rire.
Qu’est-ce que tu aimes dans ces personnages de grands maladroits, de mecs un peu autistes ?
Je suis un grand fan de The Party, j’adore Peter Sellers, Pierre Richard… Je trouve qu’il faut être extrêmement adroit et précis pour jouer les maladroits. Pour être drôle, il faut dégager quelque chose de tragique, de vulnérable, si on essaie juste d’être marrant ça ne fonctionne pas, les gens ne plongent pas avec toi. C’est ce que j’aime chez Dupieux, ou dans un film comme Toni Erdmann : c’est à la fois très drôle et pathétique.
Dans Le Voyage au Groenland, tu joues encore un mec à la ramasse, mais cette fois ton rôle était plus écrit. Tu étais à l’aise hors impro ?
J’ai une approche du jeu assez instinctive mais j’ai quand même l’habitude d’apprendre un texte. Sébastien n’est pas très dirigiste, le film était très écrit mais on pouvait changer certaines choses. Et puis je ne pouvais pas m’empêcher de négocier– je voulais rendre mon personnage un peu moins naïf et puéril, mais il est très tenace.
Pas trop rude, le tournage au Groenland ?
Il faisait moins 30 donc c’était très physique, au bout de deux prises, on n’arrivait plus à parler, donc c’était difficile de jouer une scène de plus d’une minute, surtout pour les techniciens, parce que nous on était souvent en mouvement. Au final, ça a été une expérience géniale, on a découvert une autre culture, même si la communication avec les Inuits était très difficile, dans un tout petit village de 400 habitants, le dernier village au nord avant le pôle nord… Même si bon, pour être honnête, ce désert blanc tu trouves ça sublime au début, mais au bout de trois semaines t’as un peu envie de partir !
Tu pourrais travailler avec un réalisateur très directif ?
Je pense que j’aurais du mal à travailler avec Dumont par exemple. J’ai eu un petit rôle chez Klapisch, avec une grosse équipe, et ça m’a fait drôle : on voit les minutes tourner, on a à peine le temps de se mettre dedans, c’était différent des tournages beaucoup plus cools que j’ai pu expérimenter. C’est un métier où il faut apprendre à gérer ses frustrations.
Tu tournes de plus en plus – tu t’apprêtes à tourner dans le premier long de Joséphine de Meaux, Le Syndrome du moniteur de ski. Qu’est ce que t’apporte le cinéma par rapport à la scène ?
Le cinéma c’est un nouveau défi, il faut être efficace plus rapidement : au théâtre il y a beaucoup de travail en amont, on a le temps de se familiariser avec un personnage pendant les répétitions; alors qu’au cinéma quand on tourne, il y a toute une économie derrière qui fait qu’on a une heure pour tourner et qu’après on passe à autre chose même si on a été à chier. Et puis au cinéma, il faut aussi savoir se laisser faire, s’abandonner au réalisateur. Il y a encore plein de choses qui m’échappent au cinéma, et ça m’intrigue, alors qu’au théâtre, je ne supporte pas de ne pas avoir le contrôle.
« Apnée »
de Jean-Christophe Meurisse
Shellac (1 h 29)
Sortie le 19 octobre