Comment filmer des révisions, sujet a priori pas très cinématographique ?
Cette première année de médecine, ce n’est pas un marathon, contrairement à ce qu’on dit souvent : ça commence en octobre, ça finit en mai, c’est plutôt un sprint. Je me suis dit, il faut que je le raconte comme un film de sport, comme un film de boxe. J’avais vraiment comme référence Rocky : il y a d’abord l’entraînement, le mec fait des pompes, tape dans un sac ; ensuite, au milieu, il y a un combat ; puis le mec a envie d’abandonner ; et enfin il y a le combat final. L’autre référence, plus d’un point de vue de l’ambiance, c’était La Boum. J’avais envie d’un film sur la jeunesse, sans le côté sentimental, mais sur ces amitiés très fortes, absolues, qui peuvent se former et qui vont perdurer en raison de l’adversité.
Cette jeunesse s’exprime surtout dans les scènes de groupe, en amphi notamment.
On sent que vous prenez beaucoup de plaisir à les filmer.
Oui, j’adore filmer les groupes. J’étais entouré de beaucoup de jeunes étudiants en médecine qui m’ont accompagné pendant le tournage, des centaines de figurants, je me suis nourri beaucoup de leurs anecdotes. Et j’avais vraiment envie de raconter aussi l’anonymat, ou du moins l’isolement. Pour isoler des gens, soit on les met dans un désert, soit on les met au milieu d’une foule. Par exemple les images du concours, dans ce grand hall où ils sont 2 500, ça raconte bien le fait qu’on se sent interchangeable, qu’on est des numéros, assis dans des blocs numérotés. Je voulais faire exister la vie et la jeunesse au milieu de ça, des émotions très fortes, exacerbées. C’est ce que j’ai essayé de retrouver dans les scènes de groupe.
Vous avez vu le documentaire de Nicolas Philibert, De chaque instant, sorti fin août, qui suit de jeunes élèves infirmiers ?
Oui, et je trouve que c’est un très beau film. Je trouve très touchante la partie dans laquelle les jeunes élèves racontent leur détresse, leurs difficultés, que ce soit dans le rapport hiérarchique ou avec les malades. Le vrai point commun entre le film de Philibert et le mien, c’est cette jeunesse au travail, pour qui ce n’est pas facile d’ailleurs parce qu’on lui met beaucoup de bâtons dans les roues. En tout cas moi j’avais cette envie de montrer qu’il y a tout un pan de la jeunesse qui est motivée, qui est dans la construction, qui a envie de réussir, qui est ambitieuse, tout ce qui va à l’encontre des idées reçues sur les jeunes. Mais cette jeunesse souffre aussi, on la met parfois en situation de grande précarité psychologique.
Votre film fustige très clairement le système de formation des futurs médecins.
Tous mes films ont une dimension politique, ils font le constat d’un dysfonctionnement, d’un système à bout de souffle, ou qui s’est perverti. C’est vraiment le cas du système de sélection des futurs médecins, dentistes, pharmaciens et autres professions de santé. Ce concours en fin de première année de médecine est aberrant. Il est déconnecté du savoir utile, de toute forme d’humanité. Il est uniquement fait pour éliminer 90 % des candidats. Je trouve ça terrible car à 18-19 ans, on est dans une grande capacité intellectuelle, on a soif d’apprendre. Dans le film, un doyen dit qu’on ne sait plus comment faire pour les sélectionner : aujourd’hui on pose soixante-dix questions en une heure de QCM, peut être que l’année prochaine on en posera quatre-vingts ou quatre-vingt-dix. Est-ce que ce sont les plus travailleurs ou ceux qui ont le plus la fibre qui réussissent ? Je ne crois pas, et j’avais aussi envie de mettre à mal l’idée que, si vous voulez réussir, il suffit de travailler. Je pense qu’on est très inégaux face au travail. Il y en a qui travaillent beaucoup pour peu de résultats, et d’autres qui travaillent peu et qui ont tout de suite des résultats, notamment dans le domaine scolaire.
Vous, vous avez eu le concours du
premier coup ?
Ouais, parce qu’en fait je suis tout à fait entré dans les codes, j’ai tout de suite compris ce qu’on attendait de moi. Cette compétition, elle a plutôt stimulé la part la moins glorieuse de mon être, c’est-à-dire le goût d’être meilleur que l’autre, la jalousie, l’envie d’y arriver et de voir l’autre échouer… Ces études ont ce truc terrible, très insidieux, qu’elles ne stimulent pas tellement ce qu’il y a de noble en nous. Alors que pour faire un bon médecin il faut des qualités humaines incroyables,
il faut avoir de l’empathie, il faut aimer l’autre, avoir du temps pour la réflexion, l’observation. L’autre truc pas terrible, c’est qu’au fond cette compétition acharnée fait qu’on a tendance à épouser le désir de l’autre. Moi je suis arrivé en première année sans aucun désir pour ce parcours-là, j’avais 18 ans, je ne savais pas trop quoi faire… Mais j’ai twisté en trois jours : je le veux aussi ce truc qu’ils convoitent tous ! En deuxième, troisième année, le nombre de copains que j’ai eus, et moi le premier, qui se disaient : « Mais qu’est-ce qu’on fout là, on a envie de faire autre chose ! » Quand je fais ce film, je crois que j’ai surtout envie qu’il puisse être un témoin entre les générations, comme dans les courses de relais. J’ai eu beaucoup de témoignages d’étudiants dont l’entourage n’a pas compris pourquoi ils ne voyaient plus personne, pourquoi ils souffraient, pourquoi ils avaient des troubles anxieux. Ce film peut permettre de parler avec les parents.
En même temps, on n’a plus tellement envie de mettre ses enfants en médecine quand on voit ce film.
C’est très bien parce qu’il y a trop d’étudiants en médecine de toute façon ! Si j’avais un enfant qui veut faire médecine, je lui montrerais le film et je lui dirais : « Il va falloir que tu travailles beaucoup, mais surtout tu as le droit d’échouer. » En fait, ce qui est très difficile, c’est qu’il y a une grosse pression de l’entourage, que l’étudiant a peur de décevoir. C’est dur à porter à 18 ans, surtout quand la probabilité d’échouer est si grande.
Votre film fait l’éloge de l’empathie, de la solidarité, en fac de médecine, mais aussi dans la société en général.
Bien sûr j’espère que c’est un film sur la société en général. C’est présomptueux mais j’espère qu’il dépasse le cadre de son sujet. L’idée au cœur du film, c’est de se dire qu’on est peut-être dans une société où il est temps que les plus forts aident les plus faibles, et on a le sentiment qu’on ne va pas vraiment dans ce sens-là.
: Première année de Thomas Lilti
Le Pacte (1 h 32)
Sortie le 12 septembre