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Terry Notary, la bête humaine

  • Louis Blanchot
  • 2017-10-18

La scène se passe lors d’un dîner de gala: habillée d’un simple pantalon de costume, une silhouette aux muscles tendus s’avance, promenant dans la pièce son air menaçant en s’appuyant sur d’étranges béquilles, qui prolongent ses bras pour lui permettre de marcher à quatre pattes. De prime abord, c’est un être humain, pas de doute. Et pourtant, quelque chose dans son port, ses déplacements, son regard et ses expressions nous donne à penser qu’un véritable singe habite cette carcasse d’homme. Comme possédé, l’homme-singe se met alors à pousser des cris; il bondit d’une table à une autre, renverse la vaisselle, parcourt des yeux les convives. On comprend qu’il est à la recherche d’une victime à terroriser, victime qu’il finit par trouver en la personne d’un artiste de renom dont il se joue, sous le regard d’une assistance figée par la terreur. Une proie que le prédateur cible, isole, accule, tantôt risible, tantôt agressif, appuyant son infériorité jusqu’à l’obliger à quitter précipitamment la pièce. Singe 1 – Homme 0. Impressionnante, perturbante, radicale, la scène est un véritable film dans le film, et n’est pas sans expliquer l’écho retentissant que connaîtra l’œuvre à Cannes, au point de décrocher la Palme d’or. Pourtant, avant le Festival, personne ou presque ne connaissait ce quinqua californien au corps de bûcheron et à la langue bien pendue. Pas même Ruben Östlund, le réalisateur de The Square, qui est tombé sur lui après avoir tapé sur son clavier cette recherche Google pour le moins interlope : « actor imitating monkey. » « Il m’a prévenu que c’était un petit rôle, mais un rôle essentiel. Je savais simplement deux choses : que j’allais devoir me comporter comme un singe, et que j’allais devoir effrayer tout le monde », nous raconte Notary. Il faut dire que son pedigree faisait de lui la personne tout indiquée pour cette performance animale, à la croisée du happening et du mime.

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MONKEY BUSINESS

Après avoir été acrobate pour le Cirque du Soleil, Terry Notary débute à Hollywood en 2000 sur le tournage du Grinch de Ron Howard, qui l’engage d’abord comme consultant, avant d’en faire son movement coach attitré. « Il s’agissait d’apprendre aux acteurs une nouvelle manière de bouger, de sentir, d’interagir avec leur environnement. Ron Howard voulait que tous les figurants aient l’air à moitié fou et qu’ils se comportent comme tels. Mon travail consistait à les  préparer individuellement, pour lui donner satisfaction. » C’est une réussite et, l’année suivante, Tim Burton fait appel à lui pour son adaptation de La Planète des singes. « Il souhaitait que je forme tous ses acteurs, que je réveille le singe qui était en eux. » Depuis, Notary a travaillé avec Bryan Singer (X-Men 2), James Cameron (Avatar), mais il a surtout affirmé sa place de plus proche descendant du singe au cinéma en supervisant tout le casting simiesque de la trilogie La Planète des singes (dans laquelle il tient même un second rôle), et en interprétant rien de moins que le primate des primates, King Kong, dans le récent Kong. Skull Island de Jordan Vogt-Roberts. Son apparition dans The Square permet à ce spécialiste de la performance capture de franchir une  nouvelle étape. «Pour la première fois, c’est moi seul qui ai dû me transformer. Aucun effet spécial, aucune combinaison : je suis nu face à la caméra, à visage découvert. » L’ironie voudra que, loin de ramener Notary au statut de monsieur Tout-le-Monde, cette nudité révèle encore plus précisément la bête qui hurle en lui, comme si ses différents rôles de créatures avaient progressivement enseveli sa part d’humanité. Un constat qui n’étonne pas l’intéressé. « Les gens pensent que, pour devenir un singe, il suffit d’imiter, de “faire comme”. Mais ça n’a rien à voir : pour devenir un singe, tu dois avant tout te débarrasser de tout ce qui fait de toi un humain. »

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